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BORDS DU RHIN

non plus très pénible… Au fond, je n’étais pas fâché d’être libre, je jouissais presque d’être seul. Quand Mme de Balzac rentra, j’avais donné un peu d’air à la chambre et m’étais rhabillé… Elle était extrêmement pâle, défaite… Ses paupières gonflées et très rouges montraient qu’elle avait dû beaucoup pleurer : « C’est fini, dit-elle… Il est mort… Il est bien mort ! » Elle se laissa tomber sur le bord du lit, se couvrit la figure de ses mains, soupira : « C’est effrayant ! » Et, toute secouée par un long frisson, elle répéta : « C’est effrayant !… c’est effrayant ce qu’il sent mauvais !… » Elle ne me donna aucun détail… À toutes mes questions, elle ne répondit que par des plaintes… des plaintes brèves, agacées… Elle avait un pli amer, presque méchant, au coin de la bouche. Et la bouche, d’un dessin si joliment sensuel, prenait alors une expression vulgaire, basse, qui avait quelque chose de répugnant… Je lui demandai si elle avait fait prévenir la famille : « Demain… demain…, dit-elle… À cette heure, comment voulez-vous ? » Sa voix, toute changée, sans cet accent chantant qui me plaisait en elle, devenait agressive… En me regardant, en regardant le lit, le désordre de la chambre, elle eut comme un haut-le-cœur… Je crus qu’elle allait éclater en larmes, ou en fureur… Je l’aidai à s’étendre sur le lit… « Vous aurez demain une journée fatigante… beaucoup de monde… beaucoup à faire… Reposez-vous… Tâchez de dormir. » – « Oui… oui… fit-elle… je suis brisée… » Il était quatre heures du matin ; le petit jour allait paraître… Doucement, tendrement, je lui dis : « Vous ne m’en voudrez pas de vous quitter… Soyez gentille… Il le faut… Ce ne serait pas convenable qu’on me vît chez vous à pareille heure ! » Je m’attendais à une scène, à des larmes… Elle ne protesta pas… ne chercha pas à me