Page:Octave Mirbeau Un gentilhomme 1920.djvu/113

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ment… Et je marchais plus vite, fiévreusement, sous l’influence de cette évocation haineuse… Et mes pieds nus faisaient un craquement sec et léger, agaçant, sur le parquet entièrement recouvert de nattes dépareillées… Nul autre bruit dans le château, où cet homme devait maintenant dormir d’un sommeil sonore et puissant comme lui, et nul bruit au dehors, dans cet immense parc peuplé de gens, de bêtes, de grands végétaux, de nuit profonde qui, sachant que le maître était là, retenaient leurs souffles et se taisaient, dans un silence servile… infiniment.

En un dernier effort, j’essayai encore de me rappeler exactement les diverses expressions de la physionomie, les diverses formes de la personne morale du marquis… ses insolences… ses familiarités… ses allures cordiales et rondes… ses emportements grossiers, la précision de son commandement, la gaîté rusée de son regard… la noblesse de son front… la laideur ricanante de sa bouche… le terrible martèlement de ses mâchoires… ses belles mains souples et caressantes… et le maréchal, et maître Houzeau, et M. Joseph Lerible… et Victor Flamant… et tout… tout… tout ce qui m’effrayait… tout ce qui me rassurait… Puis, ayant pesé tout cela, je limitai dès lors mes curiosités à ces deux questions plus générales :

— Est-ce un brave homme ?… Est-ce une canaille ?