Page:Octave Mirbeau Un gentilhomme 1920.djvu/122

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Il prit les billets sans les compter, et me laissa les timbres pour les besoins de la correspondance.

La cloche du déjeuner sonna. Le marquis était redevenu tout à fait gai. Moi, je quittai à regret le bureau, car un élément nouveau venait de s’ajouter à ma curiosité. Peut-être les autres papiers me livreraient-ils le secret des lettres Blanche que je devais brûler, celui des lettres Backer, qu’il me fallait enfermer sous clé dans ce meuble. En tout cas elles me donnaient une plus haute idée de ce que j’appelais — sans m’en offusquer d’ailleurs — la canaillerie du marquis… Et à revoir celui-ci, et à mieux étudier sa physionomie, je ne doutais plus qu’il fût infiniment supérieur à ce qu’en somme ces documents m’avaient fait entrevoir de très incomplet, par conséquent de très incertain sur sa vie… J’avais hâte maintenant — une hâte impatiente — d’en connaître la contre-partie.

Ce jour-là même nous commençâmes à visiter la circonscription et, aussitôt après le déjeuner, nous nous rendîmes en charrette anglaise à Monteville-sur-Ornette, par la forêt. Le marquis essayait un jeune cheval, très ardent, qu’il conduisait avec une remarquable adresse, l’excitant, le maintenant de la voix, corrigeant ses emballements d’une main ferme et souple, très sûre. Nous filions très vite. La journée était