Page:Octave Mirbeau Un gentilhomme 1920.djvu/136

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Sa face pointue, montée sur un col mince et long, était pour ainsi dire mangée, rongée, comme une plaie jusqu’aux yeux, par une barbe très courte, très dure, d’un gris roussâtre. Il avait des allures prudentes et obliques, l’oreille attentive, inquiète, un nez extrêmement mobile dont les narines battaient sans cesse, au vent, comme celles des chiens. Ainsi que les animaux habitués à ramper, à se glisser dans le dédale des fourrés, il ondulait du corps en marchant. Je remarquai que ses chaussures en cuir épais, que des guêtres prolongeaient jusqu’aux genoux, ne faisaient aucun bruit sur le sol. On les eût dites garnies d’ouate et de feutre… Il m’impressionna fortement. Il représentait pour moi quelque chose de plus ou de moins qu’un homme… quelque chose en dehors d’un homme… quelque chose dont je n’avais pas l’habitude : un être de silence et de nuit…

— Eh bien !… L’installation ?… Ça va ?… demanda le marquis.

— Ça sera fini, au coucher du soleil, monsieur le marquis… répondit Flamant, dont la voix était sourde et voilée comme celle d’un bronchiteux…

L’examinant des pieds à la tête, d’un air grave et pourtant satisfait, et parfois attendri, le marquis ajouta :

— Tu sais ce que je veux de toi ?… Tu as compris ?