Page:Octave Mirbeau Un gentilhomme 1920.djvu/151

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

annonce que nous partons pour Berd’huis-le-Vicomte, dont c’est la foire aujourd’hui, la plus importante de l’année… Je ne me présente jamais autrement dans les foires… Je vous recommande le costume… Il est des plus commodes… Vive la blouse, mon cher… Vive la blouse de France !

Sous la blouse de France, ce qu’il y avait en lui de fin et de racé disparaissait absolument… Il ressemblait à un authentique et parfait maquignon… Il était même de cette variété normande l’exemplaire le plus réussi, le plus harmonieux que j’eusse encore rencontré jusqu’ici, et tellement réussi que l’ayant vu une fois, ainsi, on ne pouvait pas rêver un costume plus exactement approprié à son âme. Il se regarda dans la glace complaisamment, donna à son foulard rouge des plis plus négligés, et il aima cette nouvelle, cette profonde image de lui-même.

Ce fut une journée dure et harassante. Il fallut patauger dans la boue, les bouses et le crottin, évoluer entre les bêtes, au risque des ruades et des coups de cornes, en jauger la viande, en palper les membres, et, dans tous les cabarets, à propos de rien, boire d’interminables bouteilles d’un vin fort et brisant comme l’alcool. Le marquis était en quelque sorte l’énergie motrice de ces réunions ; il les animait de sa grosse verve, de son infatigable activité,