Page:Oeuvres complètes de Jacques-Henri-Bernardin de Saint-Pierre, Tome 10, 1820.djvu/227

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très-chaud, nous nous promenions aux prés Saint-Gervais ; il etait tout en sueur : nous fûmes nous asseoir dans une des charmantes solitudes de ce lieu, sur l'herbe fraîche, à l'ombre des cerisiers, ayant devant nous un vaste champ de groseilliers, dont les fruits étaient tout rouges. J'ai grand soif, me dit-il, je mangerais bien des groseilles; elles sont mûres, elles font envie, mais il n'y pas moyen d'en avoir : le maître n'est pas là. Il n'y toucha pas. Il n'y avait aux environs, ni gardes, ni maître, ni témoin ; mais il voyait dans le champ la statue de la Justice. Ce n'était pas son épée qu'il respectait, c'était ses balances.

Ses yeux n'étaient pas moins continents que son goût. Jamais il ne les fixait sur une femme, quelque jolie qu'elle fût. Son regard était assuré et même perçant lorsqu'il était ému ; mais jamais il ne l'arrêtait que sur celui de l'homme auquel il voulait se communiquer. Ce cas rare excepté, il ne s'occupait dans les rues qu'à en sortir sûrement et promptement. Je lui disais un jour, sur son indifférence pour les objets devant lesquels