Page:Oeuvres de madame Olympe de Gouges.pdf/465

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Malgré leurs ſoins, leurs talens & la nouveauté de mon ſujet, je tremble que ma Pièce ne ſoit condamnée avant d'être entendue. Pourquoi, me dira-t-on, avoir cette crainte décidée ? Pourquoi ai-je vu des femmes plus inſtruites que moi échouer ſur la Scène françaiſe ? Eh, pourquoi cette prévention invincible que l’on a contre mon ſexe ? Eh, pourquoi dire comme je l’ai entendu tout haut, que la Comédie françaiſe ne devrait jamais jouer des Pièces de femmes ? Pourquoi en a-t-elle déja jouée avec ſuccès ? Et qu’on me demande auſſi, pourquoi les Italiens & les Variétés en ont-ils qui font leurs beaux jours ? Pourquoi la cabale eſt-elle plus formidable aux Français que dans tous les autres Spectacles ? parce que le nombre des connaiſſeurs y eſt plus grand & plus redoutable. Ils prononcent ſouvent contre leur opinion, tant la dévorante envie rend les hommes injuſtes, ſur-tout ceux qui ſont du métier. Comme ils profitent d’une équivoque ! j’ai entendu applaudir des Pièces juſqu’aux trois quarts de la Repréſentation, des Bravo à ébranler le Zodiaque, ſans ſçavoir ce qu’on avoit porté aux nues. Eh, comment pourrait-on ſentir, connaître les défauts ou les beautés d’une Pièce à la première Repréſentation ? Cependant on juge, on prononce ſuivant que l’Auteur eſt heureux, ou qu’il a des mains à la Figaro. Hélas ! je tremble à cette application ; & ſi je ne craignais pas de mettre mon doigt entre l’écorce & l’arbre, combien j’aurais de plaiſir à dire à ce protecteur du ſexe, à ce chevalier Loyal, à ce ſecond Mahomet, à ce fameux Ecrivain, que ſa protection, ſa plume m’aurait été bien favorable & ſur-tout dans une occaſion où il ne s’agiſſoit que de ſe mêler de