Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/201

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où, sur un sable d’or, les flots meurent avec de doux murmures. Il eut un battement de coeur, en voyant de loin le château d’If, sombre dans la nuit, et Marseille, avec les feux de ses phares, allumés comme des yeux qui regardent dans l’immensité. Il n’avait qu’un petit bagage, il le mit sur le dos d’un portefaix, il traversa la passerelle d’un pied leste, prit une voiture sur le quai, et se fit conduire au chemin, de fer. Ni arrêt ni repos, rien ne le distrayait de son désir d’arriver le plus vite possible. L’express partait à onze heures et demie, il avait une heure à lui. Il alla au télégraphe et adressa à Davidoff cette dépêche : «Débarqué à Marseille, serai demain soir à Paris, à six heures.»

Quand il eut vu son papier, des mains du receveur, passer dans celles de l’employé chargé de la transmission, il se sentit soulagé, comme si quelque chose de lui était parti en avant. Il se rendit au buffet où il mangea sans appétit, pour tuer le temps. Enfin les portes de la gare étant ouvertes, et le train formé, il grimpa dans un compartiment, et se livra, avec une jouissance toute spéciale, à la volupté de la vitesse. Enfoncé dans un coin, les yeux clos, quoiqu’il ne dormît pas, il resta immobile, comptant les stations qui le séparaient du but, ainsi qu’un prisonnier efface, sur le calendrier, les jours qui le séparent de la liberté.

À l’aube, il eut cependant une défaillance et s’assoupit. Quand il se réveilla, avec la surprise joyeuse d’avoir gagné un peu de temps sur son impatience, il faisait grand jour, et l’express filait sur Mâcon. Les riches campagnes de la Bourgogne si riantes, si saines, si robustes, se déroulaient de chaque côté de la ligne, dans un flot de soleil. Il parut à Pierre qu’il était presque arrivé. Il retrouvait une nature qui, depuis un an, lui était inconnue. Plus d’oliviers, de pins et de cactus, poussant sur l’herbe rare et jaune, plus de rochers