Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/211

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que la mort eût pris, en une seconde, ce garçon si alerte et si robuste. Elle se rappelait ce que son frère lui avait dit à Beaulieu : On n’a pas retrouvé son corps…. Elle n’avait pas, alors, accepté le doute comme une espérance. Mais, maintenant, n’était-il pas évident que si la mer ne l’avait pas rejeté au rivage, c’est qu’il avait échappé à ses vagues méchantes, qu’il était sorti de ses glauques profondeurs et qu’il existait ? Quel trajet ; dans ce cerveau de femme, avait fait cette pensée ! Elle y était entrée si avant que, pour l’en arracher, il aurait fallu à présent des preuves matérielles. Il aurait fallu montrer Pierre mort pour faire croire, à celle qui l’aimait, qu’il pouvait n’être plus vivant.

Le matin même, Davidoff s’était hasardé à dire :

— J’ai vu, hier soir, des gens qui ont rencontré notre ami en Italie et qui lui ont parlé. On peut s’attendre, un de ces soirs, à le voir arriver.

Elle n’avait point répondu, elle avait regardé le docteur, avec une fixité singulière, et, au bout d’un instant :

— Pourquoi ne me dites-vous pas tout ?… Vous avez peur de ma joie ?… Vous avez tort. Je suis maintenant sûre qu’il vit. Je l’ai vu, cette nuit, en rêve. Il était dans une église, une pauvre église de village, et travaillait à un tableau de sainteté…. Son visage était triste… triste, et, par moments, des larmes coulaient sur ses joues. J’ai eu la conviction qu’il pensait à moi…. J’ai voulu lui crier : Pierre, assez de chagrins, assez d’éloignement ; revenez, nous vous attendons, et nous serions si heureux de vous accueillir…. Mais une sorte de brouillard s’est élevé entre lui et moi, et je ne le distinguais plus que très effacé, pareil à une silhouette vague, et nettement j’entendais le bruit des flots, comme lorsqu’à Beaulieu, par une mer houleuse, le ressac battait les récifs de la baie…. Puis, cette vapeur s’est dissipée,