Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/31

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Est-ce que tu en aimes un autre ?

— Qu’est-ce que ça peut te faire ? Je ne t’aime plus, voilà ce qui est important pour toi….

Une rougeur monta au visage du jeune homme, et ses mains tremblèrent. Il mordit sa moustache, et affectant une souriante indifférence :

— Au moins suis-je bien remplacé ? On a son amour-propre… !

— Rassure-toi, interrompit Clémence avec aigreur. Je ne perdrai pas au change. Il est jeune, il est riche, il est beau…. Et, depuis longtemps, il m’occupe…. Du reste, tu le connais, c’est un de tes amis….

Et, comme le peintre, stupéfait par tant d’audace, se demandait s’il veillait ou s’il rêvait, la jeune femme poursuivit, distillant chaque parole, avec une atroce cruauté, ainsi qu’un mortel poison :

— Tu viens de le quitter…. Il dînait ce soir avec toi….

— Davidoff ? s’écria Pierre.

— Imbécile ! ricana Clémence. Ce Russe cynique, qui méprise les femmes, et les conduirait avec un knout ? Me juges-tu si sotte ? Non ! Celui qui m’a plu est un charmant garçon, doux, mélancolique, un peu souffrant, mais qui croit à l’amour et qui s’y donnerait tout entier.

À ces mots, Pierre fit un bon et, saisissant la comédienne par les poignets, il la fit plier, maigre la résistance qu’elle lui opposait. Leurs deux visages se rapprochèrent, leurs regards se trouvèrent un instant confondus. Ils restèrent ainsi quelques secondes, soufflant la haine et la colère. Enfin le peintre dit d’une voix tremblante :

— C’est de Jacques de Vignes que tu viens de parler ?

— C’est de lui.