Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/37

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n’est-ce pas moi qui te l’ai donnée ? Je suis entrée dans ta chair, dans ton sang, dans tes nerfs. Aucune femme ne peut me remplacer pour toi. Après moi, le monde est vide, et tu n’y rencontreras que l’ennui, le dégoût, la lassitude, et le regret. Reviens donc ! Ne fais pas de fierté inutile ! Je t’ai chassé ce soir, mais je t’attends demain. Ce sont querelles d’amants qui se battent et puis s’embrassent, rendus plus passionnés par leurs querelles d’un instant, plus enflammés par leur résistance, comme les tigres, qui se déchirent en se caressant, mêlant la douleur à la volupté ! Peut-être, si tu accourais en ce moment, me trouverais-tu calmée, seule, l’attendant, plus amoureuse. Qui t’arrête ? Une fausse honte ? Qu’est-ce que l’effort à faire pour dompter un scrupule d’orgueil, comparé aux ivresses que je te garde et que tu connais bien ?»

L’ensorceleuse, évoquée par son imagination enfiévrée, lui fit de son bras blanc, un geste de promesse. Il l’aperçut distinctement, dans la clarté de sa chambre. Une palpitation l’étouffa, et, poussant un soupir, il se leva pour aller la rejoindre.

Une bouffée de vent frais, en caressant son front, le tira de son rêve. Il se vit au pied de la falaise, devant la mer, loin de la ville, et l’image de la femme qui le possédait si bien s’évanouit dans la transparence du ciel. Il frémit en se sentant encore si complètement dominé par elle. S’il avait été auprès de la villa, au lieu d’être dans la campagne, en un instant, sans avoir le temps de réfléchir et de se reprendre, il eût été à ses pieds. Une rage le saisit. Elle disait donc vrai, l’apparition qui, une seconde auparavant, le défiait de briser sa chaîne ? Que fallait-il donc pour qu’il ne retombât plus au pouvoir de la fatale maîtresse ? L’espace serait-il suffisant pour le séparer d’elle ? Et qui pouvait répondre