Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/89

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de la chaleur viciée d’une salle de jeu, à l’âpre et saine odeur de ce bateau, fendant l’air pur et la vague azurée ! Ses poumons s’emplirent de la fraîcheur de la brise. Il lui sembla que sa poitrine s’élargissait, et un joyeux frisson passa par tous ses membres. Il se leva, et, voyant l’équipage réuni sur le pont, il alla d’un pas tranquille au-devant de ses nouveaux amis.

Le Provençal venait à lui :

— Avez-vous bien dormi ? dit le matelot.

— Comme jamais !

— Ah ! c’est que la mer s’entend à bercer !…

— Où sommes-nous ? demanda Pierre.

— Par le travers de Livourne… Cette ligne de côtes blanches, que vous apercevez sur la gauche, c’est Viareggio… Mais, voici le patron, avec Agostino… Il veut vous remercier…

Pierre eut à peine le temps de se reconnaître ; un petit homme, brun de barbe et de cheveux, au teint olivâtre éclairé par de grands yeux et un bon sourire, se précipitait sur lui, le serrant déjà dans ses bras.

— C’est toi qui m’as sauvé… s’écria-t-il, avec un violent accent italien, tu peux compter sur moi à ton tour : ma vie t’appartient !…

— Bien ! bien ! mon camarade, dit le peintre en se dégageant doucement.

Il examina Agostino, le vit à peine âgé de vingt ans, et lui mettant la main sur l’épaule :

— Tu étais vraiment bien jeune pour mourir… Mais ce sont tes compagnons qui t’ont tiré d’affaire ; moi, je me noyais avec toi.

— C’est justement cela qui m’attache à toi, dit Agostino avec chaleur… Tu coulais et tu ne m’as pourtant pas lâché… Oh !