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SA VIE ET SON ŒUVRE

sonne avant d’avoir conféré avec lui. C’est un billet très court qu’il fait parvenir en toute hâte. Sa seconde lettre est pour Chapelain : C’est un cri de joie non moins qu’une sauvage imprécation. La reine-mère y est de rechef surnommée Jézabel, et Cornélis invoque ici jusqu’aux chiens qui doivent la dévorer. Mais il s’est peut-être trop empressé de triompher. Il attend Aurélien d’Aquapendente, qui ne vient pas à lui avec tout l’empressement désirable. Aussi les plaintes recommencent-elles, et voici que des craintes et pressentiments pénibles envahissent son être impressionnable. Il lui arrive soudain une lettre de son parent Guy Furbity[1], auquel il avait confié à Paris, à l’heure de son brusque départ, sa femme et ses enfants. L’affliction sincère déborde en Agrippa quand il lit que sa femme est tombée malade. On doit lui rendre cette justice que, chaque fois qu’il parle de cette compagne dévouée, Jeanne Loyse Tytie[2], sa seconde femme, il trouve des accents attendris qui émeuvent profondément.

Accablé de préoccupations, toujours en correspondance avec ses amis, inquiet de sa nombreuse famille qui est loin de lui, de l’épouse qu’il chérit, et dont la santé est chancelante, sans cesse harcelé par des créanciers, sans cesse consulté par ses disciples, il est d’une telle ardeur au travail qu’il peut cependant mettre la dernière main à ce livre composé à Lyon sur « l’Incertitude et la Vanité des Sciences et des Arts », qui va paraître bientôt et deviendra pour lui la source d’autant de nouveaux tourments que de nouveaux honneurs. C’est en effet dans le courant de l’année 1528, qu’il a passée à Anvers, que paraît pour la première fois ce singulier ouvrage qui est, en même temps que le signal de l’émancipation de l’esprit humain et de la libre critique, comme un défi jeté à la raison humaine. Malgré ses efforts, sa situation pécuniaire ne s’améliore pas et ce n’est qu’au prix d’incessantes démarches, de mille prières et supplications, qu’il parvient à réunir la somme nécessaire pour faire revenir les siens de Paris à Anvers.

  1. Ce dominicain combattit Farel à Genève et fut religieux au Couvent de Montmélian, près de Chambéry.
  2. Le poète Hilaire Bertolph et Aurélien d’Aquapendente ont consacré des poésies latines à la célébrer dans son amour et sa beauté (Opera omnia, II, p. 1151). On trouve dans ce recueil une lettre de Bertolph, datée de Bâle du 11 novembre 1523, qui parle d’une pièce de vers qu’il aurait faite deux ans auparavant, quand il fut admis à Genève dans la famille Agrippa. Cette lettre se termine ainsi : « Ce jour, pendant le dîner, nous avons eu à votre sujet, cher Agrippa, un de ces entretiens brillants qui plaisent tant au Seigneur Érasme. En votre absence que nous regrettions tous, on y a fait un bel éloge de vos rares mérites. Étaient présents Claude Chansonnette, votre ami, Philibert de Lucinge, le grand philosophe Thomas Zegerus et plusieurs autres. » (Epist., III, 44.)