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SA CORRESPONDANCE

-même : Ô malheureux Prophète, que vas-tu prophétiser ? Tu as souillé tout le crédit dont tu pouvais jouir auprès de la Reine : voilà l’ulcère, voilà l’anthrax, le charbon, le chancre appelé vulgairement : « N’y touchez pas ! » Et toi, imprudent, tu as voulu le cautériser ! C’est pour cela, et après cela, que la fenêtre, le portique, le vestibule, la porte des appartements réservés, celle de la Chambre royale elle-même, ont été ouvertes, et encore à deux battants, aux flatteurs, aux consolateurs, aux détracteurs. La colère s’est emparée du cœur de la Princesse ; ses oreilles deviennent sourdes à tout avis ; les paroles que l’on prononce pour te défendre deviennent un véritable scandale, grâce à sa colère. C’est alors que j’ai commencé à changer de caractère, à devenir un vrai courtisan. Désormais mes conjectures ne prédiront que toute prospérité, que succès. Insensé et malheureux que j’étais ! Jusqu’ici je n’avais eu cure que de la vérité toute nue, je n’avais pas appris à flatter les oreilles : c’est pour cela que j’ai passé tant de temps inutilement au milieu des intrigues de la Cour. J’ai négligé précisément les choses qu’il aurait fallu apprendre de préférence. Je savais que Bourbon était un ennemi, un ennemi de guerre, mais je ne savais pas que ce fût un homme si exécré, plus que ne le furent autrefois les Telchines, les Illyriens, les Thessaliens, tous peuples nuisibles. Je ne savais pas qu’il fût plus dangereux que les maudites Amazones ; je ne savais pas que son nom seul apportait avec lui son venin. Je ne savais pas non plus que j’étais un astronome salarié, mercenaire, que je n’avais pas le droit d’avertissement, d’énoncer ce que cet art me dicte et m’inspire, droit qu’il comporte évidemment. Alors se présente à mon esprit l’exempte d’Orinthius, astrologue et mathématicien, illustre Pharisien. Il avait fait de son mieux pour annoncer des choses vraies : il en fut cependant puni par une longue captivité. Que serait-il donc arrivé, me disais-je, si j’avais vidé le fond de mon sac prophétique ? Sans aucun doute tu te serais précipité dans la flamme pour éviter la fumée. Ce que tu as dit de Bourbon sans le savoir, les événements ne l’ont que trop justifié, hélas ! Que serait-ce si tu avais prédit les autres malheurs, ô bonne foi des Dieux et des hommes ! Ne pouvais-tu pas laisser là cet exemple funeste du prophète Michée ? Dis, ne pouvais-tu pas prédire au Roi toute sorte de prospérités ? Non comme Balaam, je n’ai pas su prédire quelque catastrophe devant arriver à Bourbon. Aussi suis-je l’accusé, le coupable. Je ne nie point que l’Astrologie ne puisse inspirer des prédictions mensongères à ceux qui prophétisent en son nom ; mais qui pourrait maudire Balaam, quand Dieu le protège qui pourrait maudire celui que le Seigneur ne maudit point ? Est-ce que la victoire des Princes n’est pas dans la main de Dieu ? Ce Dieu ne dévoile-t-il pas tout à coup sa puissance contre ceux qui le négligeaient : ne convainc-t-il pas de mensonge ceux qui l’avaient offensé outrageusement ? Et que suis-je en comparaison de la Divinité ! M’est-il possible d’altérer la vérité ? Voilà ce dont on m’accuse, voilà mon crime, mon attentat ; voilà le venin, l’aiguillon, le trait qui a blessé votre Souveraine, qui a ulcéré son âme, gangréné la plaie. Oui, je suis le coupable ; je suis, — tout le fait voir, — un partisan de Bourbon ; je suis l’ennemi de l’État ! Si je suis Bourbonniste, la plupart des généraux de ce grand Duc pourront l’attester. Ils