Page:Ossip-Lourié - La Psychologie des romanciers russes du XIXe siècle.djvu/180

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il l’analysait dans les moindres détails. Quelquefois, il remerciait la destinée qui lui avait octroyé cette solitude sans laquelle il n’aurait pu ni se juger ni se replonger dans sa vie passée. Quelles espérances germaient alors dans son cœur !

La veille de sa libération, au crépuscule, il fit pour la dernière fois le tour de la maison de force. Le jour de la libération est arrivé…

Il va à la forge où l’on doit briser ses fers. Les forgerons lui font tourner le dos, empoignent sa jambe et l’allongent sur l’enclume… Les fers tombent… Il est libre.

« Je considère ces quatre années comme une époque durant laquelle j’aurais été enterré vivant et mis au tombeau. Je suis impuissant à dire combien ce temps a été affreux pour moi. Mais à quoi bon raconter tout cela ? Si je t’écrivais cent feuillets, tu n’aurais pas encore la moindre idée de ma vie d’alors[1] ! »

Après quatre ans de travaux forcés et cinq ans de service militaire, — comme suite à sa punition — Dostoïevsky se vit fixer Tveer comme lieu de résidence. En 1859, il adresse à Alexandre II la supplique suivante :


« Majesté Impériale,

« Moi, ancien criminel d’État, j’ose déposer mon humble supplique devant Votre grand Trône. Je sais que je suis indigne des bienfaits de Votre Majesté Impériale et que je suis le dernier de ceux qui peuvent espérer Votre grâce. Mais je suis malheureux et Vous, Notre Empereur, Vous êtes infiniment charitable. Pardonnez ma supplique et ne châtiez pas de Votre colère le malheureux qui a besoin de Votre pitié.

« Jugé pour crime d’État en 1849, à Saint-Pétersbourg, dégradé, privé de tous mes droits civils, je fus condamné aux travaux forcés de

  1. Dostoïevsky. Correspondance. Lettre à son frère.