Page:Otlet - Problèmes internationaux et la guerre.djvu/382

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rants en vue de fins constantes, élevées, lointaines. La société civile comprend tout ce qui dans la nation ne ressortit pas directement à l’État : la famille, le commerce et l’industrie, la religion (là où elle n’est pas chose d’État), la science, l’art. Toutes ces formes d’activité ont ce caractère commun que nous nous y adonnons de nous-mêmes par pure spontanéité. Elles sont déterminées par des mobiles privés et non pour orienter vers un seul et même but. Chaque homme ou chaque association a ses intérêts propres, en conflit avec ceux des autres et qui ne peuvent s’harmoniser. Les relations multiples qui se nouent entre eux ne constituent pas un système naturellement organisé. La société civile n’a aucune unité de volonté, elle n’a pas d’organe commun. Lui attribuer une sorte d’âme et par conséquent une personnalité c’est se perdre dans des constructions abstraites. La Conséquence c’est qu’il y a véritable antagonisme entre l’État et la société civile, l’État et les individus. Pour que ces deux forces puissent former un tout, il faut que l’une d’elles subisse la loi de l’autre. Or c’est l’État qui doit exercer cette action prépondérante, qui doit commander, car il est le principe vital de la société. Le devoir des citoyens est d’obéir. Cette obéissance peut être machinale, n’implique aucun assentiment intérieur de la conscience. L’autorité ne doit pas être librement consentie. Peu importe si le résultat cherché est obtenu. L’État doit avoir la force de se faire obéir et tenir la main à ce que ses décisions, une fois prises, soient impitoyablement exécutées. Un État qui laisse le moindre doute sur la fermeté de sa volonté et de ses lois ébranle le sentiment du droit. Si l’on résiste, qu’il frappe et durement.

B. Dans les sociétés démocratiques une autre théorie s’oppose à la première. Le peuple et l’État ne sont que deux aspects d’une même réalité. L’État c’est le peuple prenant conscience de lui-même, de ses besoins et de ses aspirations, mais une conscience plus complète et plus claire. L’État est ainsi la représentation, la personnification officielle du peuple.

Sans doute un peuple, par cela seul qu’il est peuple, a un certain tempérament intellectuel et moral, un caractère qui s’affirme dans le détail de ses pensées et de ses actes, et dans la formation duquel l’État n’est pour rien. Forces impersonnelles, anonymes, obscures, qui agissent constamment, qui s’expriment dans des monuments littéraires, épopées, mythes, légendes, qui forment les coutumes juridiques auxquelles certains attribuèrent une sorte d’âme (die Volksseele). Mais cela ne suffit pas pour faire du peuple une réalité et une autre de l’État. « En s’unissant, en se liant les uns aux autres, les particuliers prennent, conscience des groupes qu’ils forment, depuis les plus simples jusqu’aux plus élevés, et ainsi prennent spontanément naissance des sentiments sociaux que l’État exprime, précise et règle, mais qu’il