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LE LIVRE ET LE DOCUMENT

d) Le Cuirassé Potemkine met l’art technique cinématographique au service de l’idéal politique communiste ; Retell, film national-socialiste, a montré une telle forme de persuasion qu’il réussit à convaincre jusqu’aux adversaires les plus résolus du mouvement.

Ln Russie le cinéma, comme tous les arts, a été intégré dans le plan d’ensemble de l’édification socialiste. Il y donne une large information et une vision artistique de l’industrialisation, vision accompagnée de paroles, de bruits et de musique.

e) Le cinéma a été dans les pays d’Orient l’instrument révolutionnaire par excellence. D’une part, il a détruit le prestige du blanc et de sa civilisation camouflée et surfaite en montrant sur l’écran ses tares et ses maux. D’autre part, il a en ces pays initiés les classes dominées, les femmes, les travailleurs, les petits, aux conquêtes de l’émancipation des mêmes classes en Occident.

f) Le cinéma devient une arme redoutable. On se battra un jour devant l’écran comme dans la salle de meeting, pour ou contre l’ordre établi. L’enjeu est l’emprise sur les foules, à commencer par les enfants. En Belgique, sur une population de 8 millions, 90,000 personnes s’asseyent chaque jour devant l’écran, soit plus de 1 %.

Un film tiré par certains établissements est vu en trois mois par 300 millions de spectateurs. Quel est le moyen de diffusion qui peut lutter avec un tel instrument de propagande, si ce n’est la lumière dont il dérive si directement ?[1]

g) On a suggéré de prendre des films sonores des séances du Parlement.

h) À l’influence néfaste de certains films, il convient, dit M. Coustet d’opposer les leçons d’énergie, de santé morale et physique qui se dégagent de nombreux romans cinématographiques et nous devons reconnaître qu’à ce point de vue, tout au moins, les éditeurs américains ont donné un exemple doublement heureux, puisqu’ils ont produit des œuvres attrayantes qui sont en même temps de puissants générateurs de force et de gaîté saine, généreusement dépensées.

i) Le cinéma pose le problème de la vérité physique du document. Autrefois le bon public croyait aux exercices ultra périlleux des artistes de cinéma dans les films d’acrobatie. Des initiés divulguèrent les nombreux trucages. Ceux-ci aujourd’hui interviennent dans de nombreux documentaires. Un mannequin substitué à un homme dans un sacrifice humain, scène avec des hommes sauvages en pays inexploré, enregistré chez un colon avec son personnel (documentaire remanié).

243.382 POINT DE VUE COMMERCIAL.

a) la tendance dans l’industrie internationale du film est à l’élimination des petits films et des petits cinémas pour faire place aux grandes productions.

b) On a vu un danger dans la constitution de trusts qui industrialisent une production du film qui devrait être avant tout un art.

c) Le film commercial est destructeur de talent. On a pulvérisé à coup de dollars la magnifique floraison des œuvres suédoises. On a détourné le cinéma allemand vers ses tendances au mysticisme et à la rêverie et en France s’est opéré un sectionnement ne laissant aux vrais artistes que le domaine d’un cinéma d’essai. (D. Coen.)

d) Insignifiance des films. — Riche d’hommes, d’intelligences, de ressources multimillionnaires, on produit des films qui ont demandé à être tournés quatre, six mois. Et l’on a l’impression trop souvent ressentie « ce n’est que cela ».

e) On a dénoncé le cinéma moderne en ces termes : de toutes les œuvres d’art, c’est la plus coûteuse à produire : un poème, une pièce de théâtre, un tableau, une statue, de la musique n’exigent guère pour être produit par l’artiste. Au cinéma, il y va de centaines de mille francs, de millions. Le capital intervient : il veut gagner comme sur une marchandise quelconque. Puis il la veut conforme à l’esprit de la société : morale bourgeoise, de sensualité, de respect à l’ordre établi, d’accident heureux venant compenser la triste condition (la petite dactylo épouse finalement son patron riche). Opium.

Certains films coûtent des millions. Le Napoléon de Gance a coûté 7 millions. Il a mis en scène 5,000 soldats. Les frais généraux coûtent jusque 40,000 fr. par jour. Un studio se loue jusque 25,000 fr. par jour.

Les cinéastes demandent la création d’une Banque du Cinéma. Ils doivent payer aujourd’hui des escomptes-participations aux commanditaires s’élevant jusqu’à 40 %. La censure édulcore les films sociaux.

f) Les industriels du cinéma répondent : la faute en est au public qui a sifflé de bons films. L’État ne saurait faire mieux. S’occupe-t-il de ce que lit le public ? Il faudrait généraliser la mesure prise en Allemagne. Le film d’art est détaxé. Les intellectuels au début, il y a 35 ans, ont méprisé cet art fait pour être traité par les princes de l’esprit ; ils l’ont abandonné à des valets. Le succès de l’écran à l’encontre du livre et du théâtre est qu’il n’exige aucun effort de l’esprit. Il suffit d’ouvrir les yeux. Il est une distraction, avant tout.

  1. « Supposez qu’un homme de génie, un apôtre, un penseur, un prophète trouve désormais la thèse régénératrice qui améliorera l’humanité, et qu’on puisse l’exposer, la condenser en un thème cinématographique, en moins de trois mois elle sera révélée au monde entier à qui, si demain l’admirable doctrine révélée dans l’Évangile se manifeste comme jadis, à l’univers, on peut dire sans ironie et sans hyperbole, que ses propagateurs ne s’appelleraient plus Mathieu, Luc et Jean, mais Pathé, Gaumont, Edison. » (Pierre Decourcelle, Conférence au Congrès de Cinématographie, 1910).