Page:Otlet - Traité de documentation, 1934.djvu/339

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
332
259
LE LIVRE ET LE DOCUMENT

papiers d’affaires, papiers de familles) ou élimination dans les classeurs et dans les répertoires de toute nature, des éléments devenus surannés ou qui ne présentent plus d’intérêt, sont devenus encombrants. Le papier se déchire ou plutôt on déchire le papier. Chacun est juge de ce qui, de sa propre production et de ce qu’il reçoit, doit recevoir la destination du panier. Le désencombrement nécessite une destruction continue et l’on peut dire qu’il y a des cas où la destruction du papier est aussi utile que la production. Ainsi les essais personnels, les notes, dont on est certain que la substance a passé en d’autres notes.

c) Les éditeurs détruisent volontairement un grand nombre d’exemplaires de livres, quand après un certain temps les stocks restent accumulés. Certains éditeurs et intermédiaires, amateurs, ne vont-ils pas jusqu’à une destruction en vue de raréfier l’ouvrage et d’accroître sa valeur économique ou valeur de collection. La destruction est l’ultima ratio des éditeurs. C’est une des formes de la mort du livre. On retrouve un bénéfice en récupérant le prix du vieux papier (6 fr. les 100 kg avant la guerre et on comptait que le papier entrait pour environ 1/10 dans le prix coûtant d’un ouvrage).

d) Parmi les plus éphémères des imprimés sont les journaux et les affiches. Il est des livres qu’il est utile de voir exister nombreux à un certain moment, mais qui, sauf des témoins, sont appelés à disparaître ensuite. Ex. : les anciens indicateurs de chemins de fer, anciens livres de classe. Mais il faut des exemplaires conservés. Beaucoup d’organisations ne conservent les collections de journaux et de revues que pendant six mois, un an ou trois ans et s’en débarrassent ensuite en vieux papier. Beaucoup pourraient être conservés par transfert dans les collections publiques.

e) Il doit être procédé à la destruction régulière des archives des administrations publiques, en particulier de la correspondance et des papiers d’affaires. L’administration des États-Unis a réglementé avec beaucoup de précision la destruction de certaines pièces. Ex. Regulations to govern the destruction of Records of Carriers by water (1929).

f) Les documents sont détruits notamment par l’envoi aux vieux papiers, mise au pilon, mise au feu. Des industriels achètent partout le papier, promettant de le détruire. Ils le soumettent à un tri par qualité. Quelquefois il est procédé à la destruction devant notaire, comme dans le cas de titres au porteur. Des œuvres s’occupent à faire recette avec le vieux papier (ex. les Invalides de guerre). Les vieux journaux ont bien des destinations. Ils servent à envelopper les légumes, nettoyer les souliers, garantir les pieds du froid, faire du feu, entourer la marmite norvégienne, confectionner des matelas de rognures de papier, tapisser, sécher les glaces et les carreaux lavés, etc.

259.28 Destruction par les guerres et les révolutions. Autodafé.

a) Le bilan effrayant des destructions et des vandalismes consécutifs aux invasions des barbares, à l’invasion des Normands, à la Guerre de Cent ans et de Trente ans, aux Guerres de religion et à celles qui accompagnaient l’introduction de la Réforme ; les martelages et les incendies révolutionnaires, les destructions de la guerre mondiale.

b) La Bibliothèque de Louvain fut détruite par un incendie tandis que les Allemands occupaient la ville. Elle fut reconstruite à l’aide de dons américains sur les plans de l’architecte Whitney Warren.[1]

Pendant la guerre mondiale, d’autres bibliothèques furent sinon directement incendiées, du moins si mal traitées que périrent quantités de livres. Il y eut les incendies des maisons et édifices qui, sans être des bibliothèques, contenaient des livres. La guerre aussi créa une famine de papier qui amena les boutiquiers à sacrifier de nombreux livres.[2]

  1. Il y eut l’affaire de la « balustrade de Louvain » qui devait être placée sur la façade de la Nouvelle Bibliothèque. Elle portait ces mots : Furore teutonico diruto, dono americano restituta. En juin 1928, Mgr Ladeuze, recteur de l’Université, s’opposait à son placement et déclarait qu’il allait lui en substituer une autre ne portant aucune inscription. Un groupe d’étudiants s’étant opposé à leur tour à son placement, Mgr Ladeuze la faisait alors installer sous la protection de la police. Un matin de juillet, un ouvrier, Félix Morren, la brisait et était condamné de ce fait à 1 mois de prison. Un procès s’en était suivi engagé contre l’Université par l’architecte Warren, qui exigeait qu’on mit la balustrade avec l’inscription. Il insistait d’autant plus vivement que cette inscription avait été approuvé, disait-il, par le Cardinal Mercier. Après avoir gagné en instance, Warren perdait en appel, puis en cassation. Gain de cause restait alors à l’université. C’est dans ces conditions qu’une nouvelle balustrade dépourvue de toute inscription fut replacée en mai 1933. Huit jours après, le même ouvrier Morren l’abattit une seconde fois à coups de marteau alléguant qu’il considérait la balustrade sans inscription comme étant celle d’Hitler.
  2. La guerre atteint de plusieurs manières la production intellectuelle. Quand elle éclate, elle détruit brutalement des valeurs existantes et anéantit des productions. À l’état de préparation, la paix armée soustrait des hommes jeunes à la production et pendant leur service militaire les empêche de produire. On peut s’imaginer ce que sera une nouvelle guerre. Un avion ordinaire pourrait porter aisément 1000 projectiles dits « Electrons » de la forme d’un œuf et pesant un kilo. Il allumerait mille foyers d’incendie qu’aucun des moyens actuellement connus ne peut éteindre. En utilisant le gaz, le Phosgène ou Lewisite, ce serait la destruction et la mort sur d’immenses étendues. — En Angleterre, comme le papier de journaux manquait, on envoya au pilon de grandes collections de documents officiels qui n’avaient pas été distribuées. Les paysans russes avaient peu de Bibles et ils étaient en général illettrés. Mais les Bibles qui étaient dans les campagnes, ils s’en sont servis pendant la guerre civile pour faire des cigarettes !