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LOGIQUE BIBLIOLOGIQUE

Les conceptions philosophiques, que ce soient celles de l’exemplarisme ou du mécanisme, conduisent au principe que dans l’intelligence résident non pas les choses mais des portraits des choses, des images intellectuelles dont le système, la ressemblance est ou n’est pas suspecte.

2. Facteurs de la Systématisation. — Il y a trois facteurs de la systématisation scientifique :

a) la définition qui dit ce qu’une chose est ; b) la démonstration, qui passe des principes aux conclusions ; c) la division ou différenciation.

On peut définir ainsi l’idéal d’une science parfaite : un ensemble de propositions évidentes et certaines, nécessaires et universelles, systématiquement organisées, tirées immédiatement ou médiatement de la nature du sujet et qui donne la raison intrinsèque de ses propriétés ainsi que des lois de son action.

Travaux analytiques. Travaux synthétiques, les deux sortes de travaux, avec les documents et les publications qu’ils comportent, sont à envisager distinctement et en corrélation. Analyse, synthèse sont les deux mouvements essentiels de la pensée, qui alternativement ou successivement décomposent un ensemble d’éléments et ses éléments forment un ensemble. Une économie dans la pensée, un gain dans le travail consistent à procéder à l’analyse et à la synthèse en liaison si étroite que sans peine l’une conduise à l’autre et réciproquement.

3. But. — Le but de la Science est de former et de constituer l’image intellectuelle du Monde mouvant (science statique, dynamique) et la détermination des points d’action sur lesquels est possible une action en vue de la transformation du monde selon les besoins humains (désidérata matériels et intellectuels).

Ainsi « Savoir pour prévoir afin de pouvoir ». Or, cela n’est possible pour l’esprit ni spontanément, ni immédiatement, ni directement, ni isolément. Il lui faut : 1o du temps ; 2o de la coopération ; 3o une méthode ; 4o un outillage (langue, classification, logique, documentation).

4. Espèces de sciences. — Les sciences sont de deux ordres : 1o Sciences d’objets (sciences de réalités concrètes). Elles envisagent des choses éventuellement uniques comme la Terre, objet de la Géographie envisagé dans la synthèse totale qu’elle forme). 2o Sciences de phénomènes, d’aspects. Science abstraite, analytique, envisageant les choses ou quelques-uns de leurs éléments donnant lieu à des Types ou classification et à des lois).

Il y a les Sciences exactes et les autres. Pour être une science exacte, suivant la terminologie admise, il faut qu’une science s’exerce sur des objets mesurables :

a) les sciences de la Nature et les sciences de l’Homme de la Société ; institutions, objets artificiels et idées créés par l’Homme ; b) les sciences des faits, sciences de lois, et les sciences d’application ou disciplines pratiques.

Le passé a connu la division des sciences en deux parties, l’une occulte, réservée aux initiés en savoir, sages et prêtres en même temps, et l’autre publique, ésotérique, pour le vulgaire et révélée par le moyen de symboles. (Les Égyptiens constructeurs de pyramides, Zoroastre, les Pythagoriciens, tous les tenants de la Gnose). Le Livre a été l’instrument de l’une et de l’autre de ces formes de science.

D’autre part, la pensée réfléchie exprimée dans les documents (écrits, images) relève de quatre ordres de production s’élevant des unes aux autres selon une progression croissante de précision et de généralisation abstraite :

a) Folklore ; b) Littérature ; c) Science ; d) Philosophie.

5. Mouvements internes dans la constitution de la Science. — La constitution générale de la science est affectée en ce moment par de grands mouvements internes qui tendent à embrasser toutes les connaissances et dont la Bibliologie devra tenir compte. Ces mouvements sont :

a) L’Interdépendance plus étroite de toutes les parties (à l’intérieur et à l’extérieur).

b) l’Explication génétique, évolution historique. Actuellement dans les deux directions : approfondissement de son propre domaine ; utilisation du domaine des autres sciences en offrant à celles-ci ses propres résultats.

c) la Mathématique des sciences, formulation de leurs lois, en langage mathématique (concentration, déduction).

d) l’Élimination de la distinction entre sciences pures et sciences appliquées.[1]

e) la Substitution de la notion de fonction à celle de cause.

f) la Substitution de la notion de loi statistique donnant lieu aux probabilités, à celle de détermination des causes. Restauration de l’individuel et de son libre arbitre relatif. Une révolution s’est accomplie dans cette conception à la suite des grandes découvertes de la Physique. La conception déterministe a été attaquée, on veut reconnaître une sorte de libre arbitre dans le monde des corpuscules (Heisenberg, Bohr). Impossible de connaître à la fois la position et le mouvement précis d’un corpuscule et son état immédiatement postérieur. Seules des considérations statistiques définiront un état le plus probable parmi les divers états possibles. La notion de loi, fondamentale jusqu’ici, serait par suite singulièrement modifiée.

g) l’importance grandissante du finalisme volontaire, humain, social, sous le nom de Plan (Téléologie).

6. Constatation, Prévision, Action. — Il faut aujourd’hui une science développée jusqu’à ces trois degrés : 1o Enregistrement des faits quand ils se produisent ; 2o Prévision des faits et établissement des conséquences

  1. Comment se font les inventions. (A. Boutaric. Les Grandes Inventions françaises, p. 9).