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BIBLIOLOGIE

utiles avant leur plein épanouissement ; 3o Action en vue de produire ou de modifier les faits.

7. Science générale comparée. — Sans qu’un nom distinct, ni même une organisation distincte la caractérise, il se constitue sous nos yeux une Science générale comparée ; c’est-à-dire une manière commune de constituer chaque science particulière, son contenu, son expression, son organisation. Telle science particulière sous l’empire de son développement propre peut ne pas avoir ressenti le besoin de telle méthode ou de telle forme d’organisme, ni avoir été amenée à poser tels ordres de problèmes, que ces besoins cependant naissent dès que les sciences se rapprochent et se comparent. La Bibliologie bénéficiera de tout ce qu’apportera cette « science commune ». Avant qu’elle ait été formulée, elle devra se confronter directement elle-même avec les plus importantes et les plus caractéristiques des sciences.

8. Science et objet de la Science. — Une première et fondamentale distinction est à faire entre la chose et sa science, ici entre le Livre-Document lui-même et la science du Livre-Document. La Zoologie, science des animaux, est bien distincte de ceux-ci ; elle a une histoire (évolution des conceptions concernant les animaux) bien distincte de l’Histoire des Animaux, leur évolution, laquelle donne lieu elle-même à une science propre : la Paléontologie.

9. Caractère complet ou choisi des sciences. Importance des sujets traités. — Décrire le Monde, décrire la Pensée des Hommes, décrire ce que cette Pensée conçoit de la Nature, de l’Homme, des Sociétés ; quelle tâche immense. A priori, il est impossible de la réaliser 100 %. Pour écrire une histoire intégrale, par exemple, il faudrait écrire, seconde par seconde, ce qui s’est passé au cours du temps ; pour décrire une géographie intégrale, il faudrait décrire non seulement la Terre, mais tout l’espace, mètre par mètre, au moins Kilomètre par Kilomètre.[1] Impossible et surtout inutile de construire et de communiquer un savoir complet. On a donc procédé de deux manières : en créant des types généraux auxquels sont supposées correspondre les entités particulières et en choisissant les sujets à traiter. Il y a bien des sujets qui sont sans intérêt. Les personnes d’esprit médiocre et sans portée, souvent qualifiées de curieux, s’attaquent volontiers à des questions insignifiantes. La liste des titres bibliographiques en fait foi. « Toute science doit tenir compte des conditions pratiques de la vie, au moins dans la mesure où on la destine à devenir une science réelle, une science qu’on peut arriver à savoir. Toute conception qui aboutit à empêcher de savoir, empêche la science de se constituer. — La science est une économie de temps et d’efforts obtenue par un procédé qui rend les faits rapidement connaissables et intelligibles ; elle consiste à recueillir lentement une quantité de faits de détails et à les condenser en formules portatives et incontestables. Les sciences ont le choix entre deux solutions : être complètes et inconnaissables ; ou être connaissables et incomplètes. Elles ont choisi la seconde, elles abrègent et condensent, préférant le risque de mutiler et de communiquer arbitrairement les faits à la certitude de ne pouvoir ni les comprendre ni les communiquer. » (Ch v. Langlois et Ch. Seignobos. — Introduction aux Études historiques, p. 228.)

10. La Science et le Livre. — Notre temps a créé la recherche scientifique. C’est un accroissement illimité des connaissances provoquées à la fois par le désir intense de les conquérir et par une organisation pour le réaliser (personnel, plan, méthodes, outillage). Si de tout temps il y eut amour et effort de savoir, le point essentiel et la grande nouveauté est maintenant dans la recherche, ainsi définie. Or, les conditions sine qua non sont que les résultats se puissent comparer exactement et qu’ils puissent s’ajouter les uns aux autres. Il s’agit par des procédés très puissants, par une action continue, de constituer un capital — capital intellectuel — de lois et de procédés puissants. Continuité, addition, comparabilité, capitalisation, elles ne sont pleinement possibles que par la Documentation. Réciproquement, il n’y a Documentation satisfaisant aux desiderata de la science que si elle correspond à ces mêmes quatre but-desiderata.

155 La Psychologie et les Activités de l’esprit ou
Psychologie Bibliologique
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1. En Bibliologie s’est ouvert un chapitre nouveau : La Psychologie Bibliologique : l’étude des rapports mentaux entre auteurs et lecteurs à l’intermédiaire du livre, étude du livre considéré comme une cristallisation des idées, des sentiments des volontés de qui le produit, une cristallisation qui à son tour va influencer cette autre cristallisation, plus souple et susceptible de modification qu’est l’utilisateur du livre. Nicolas Roubakine a poursuivi cette étude depuis plus de trente ans ; pendant la guerre, il a été contraint par ses amis à sortir du milieu exclusivement russe où il présentait des faits et des idées de portée universelle. Par une action jointe, l’Institut Rousseau (École des Sciences de l’Éducation à Genève) et l’Institut International de Bibliographie ont amené la création en 1916 d’une Section de Psychologie Bibliologique, transformée en 1928 en Institut International de Psychologie bibliologique. Celui-ci installé d’abord à Clarens, maintenant à Lausanne, a produit un très actif travail sous la direction et l’impulsion de N. Roubakine lui-même, assisté de sa collaboratrice Marie Bethmann. Les Principes de la nouvelle branche de science ont été exposés dans deux volumes écrits en français, forts de

  1. André George. — L’œuvre de Louis de Broglie et la Physique d’aujourd’hui.