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BIBLIOLOGIE

somme et le pourcentage des excitations produites sur un lecteur par un livre et dans un moment donné.

5. De cette manière on peut obtenir des coefficients biblio-psychologiques numériques qui caractérisent le lecteur à un moment donné. La théorie de la statistique permet de passer de ces coefficients individuels à des coefficients moyens (pour un même lecteur, pour des lecteurs différents, etc.). Cette méthode spéciale conduit la biblio-psychologie à l’analyse des différents lecteurs, à préciser leurs types psychiques et à obtenir ainsi une série ou une échelle d’étalons d’un lecteur moyen (en général), d’un lecteur spécialiste (d’une branche déterminée d’une science), d’un peuple, d’une classe sociale, d’un moment de l’histoire, etc. ; on peut comparer avec ces étalons des coefficients individuels. Une telle comparaison permet de caractériser non seulement qualitativement, mais aussi quantitativement n’importe quel lecteur. On remplace de cette manière l’étude subjective des ouvrages littéraires par l’étude objective ; la même méthode nous permet d’introduire dans les opinions des critiques et des commentateurs leurs « correctifs comme lecteur » (équation personnelle) soit le correctif du critique. On arrive ainsi à expliquer le rôle des faux témoignages dans le domaine de la littérature et de la critique.

Cette méthode spéciale de la biblio-psychologie (la statistique des excitations produites par chaque mot du livre) donne la possibilité d’appliquer la théorie des probabilités et les courbes mathématiques à l’étude de tous les phénomènes psychiques de la lecture. De cette étude du lecteur, on passe à l’étude des livres eux-mêmes, puisque les coefficients moyens biblio-psychologiques, caractérisant le lecteur moyen d’un livre ne sont autre chose que la caractéristique de ce livre (conformément à la loi des grands nombres de Quetelet). L’étude par les mêmes procédés de toutes les œuvres d’un écrivain conduit à la constatation objective des qualités de ses travaux et à leur action dans tel ou tel sens sur les lecteurs. La comparaison de coefficients biblio-psychologiques se rapportant à toutes les œuvres d’un écrivain donné avec les étalons de différents types de lecteurs permet de caractériser chaque auteur aussi objectivement et à des points de vue différents.

6. En développant de plus en plus l’application de cette méthode et en basant toujours l’étude des livres sur l’étude préliminaire des lecteurs et celles des auteurs sur celle de leurs œuvres, la biblio-psychologie tend à transformer l’histoire et la théorie de la littérature en une des branches de la psychologie scientifique, en une science étudiant la qualité et la quantité des excitations psychiques produites par les livres. La même méthode permet de déterminer avec exactitude les notions fondamentales du type des livres, des lecteurs, des auteurs et de leurs relations réciproques.

Les lois fondamentales de la biblio-psychologie sont les suivantes :

a) Loi de W. Humboldt-Potebnia : « Le mot est un excitateur et non pas un transmetteur de la pensée ».

b) Loi de E. Hennequin : « Un livre produit un effet maximum sur le lecteur dont l’organisation psychique est le plus analogue à celle de l’auteur ».

c) Loi de H. Taine : « La race, le milieu et le moment de l’histoire déterminent la mentalité des lecteurs ».

d) Loi de R. Semon : « La compréhension du livre est une fonction de la mentalité du lecteur, c’est-à-dire de la totalité des engrammes formés en lui par la mnème ».

e) Loi de Ernest Mach : « L’économie du temps et des forces du lecteur s’accroît à mesure que le type du livre se rapproche de celui du lecteur ».

Les recherches biblio-psychologiques permettent donc de constater la dépendance fonctionnelle des trois facteurs : 1. le lecteur ; 2. le livre ; 3. l’auteur, et de l’exprimer par des coefficients numériques. Il s’ensuit qu’on peut utiliser un livre comme réactif sur le lecteur et réciproquement.

7. La Psychologie bibliologique récente est allée plus loin. Elle s’appuie maintenant sur des lois cosmiques, écrit M. Roubakine, elle n’étudie plus uniquement les phénomènes du livre et de la littérature d’après le point de vue social et des sciences naturelles. Elle tend à formuler la loi de la conversation et des critères. Elle a déjà formulé, et expérimentalement prouvé, la loi très importante des consonances et des dissonances des émotions. Cette loi est la vraie base du travail pratique dans le domaine du livre et de la parole. Elle détermine la biblio-psychologie comme science du comportement verbal et étudie la dépendance fonctionnelle entre le percipient, l’agent et le milieu (temps et espace).

8. Les applications possibles de la Biblio-psychologie ont été résumés en ces termes par N. Roubakine :

1o la possibilité de rédiger les livres scientifiques de vulgarisation et les manuels scolaires de telle façon qu’ils soient plus lus que les belles-lettres ; 2o au lieu d’étudier dans les buts de l’instruction et de l’auto-instruction une quantité de livres, poursuivre ce travail avec un nombre de livres relativement petit, sans porter préjudice aux connaissances reçues et au développement mental ; 3o transformer les bibliothèques en des laboratoires où l’on étudie la circulation des idées et de l’opinion publique ; 4o organiser l’activité des maisons d’édition, des rédactions de livres et leur distribution de façon que cette activité ne ressemble plus à un tir désordonné sur un but invisible ; 5o et c’est là peut-être le plus important, faire comprendre à tous ceux qui, sous le régime social actuel, sont opprimés, humiliés, offensés et appauvris et qui maintenant n’ont ni les connaissances ni les possibilités pour travailler pour la création de meilleures con-