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LE LIVRE ET LA LITTÉRATURE

c) Au point de vue individuel, la littérature répond à ce but : « chercher son âme dans une autre âme, explorer le monument éternel laissé par les classiques anciens, s’abreuver a cette rivière féconde, percevoir la lumière des soleils qui dans le passé ont transpercé le monde de leurs rayons magnifiques, fréquenter la société des grands esprits. »

La foule, quoi qu’on prétende, adore la littérature. Elle apprécie les inventions des poètes, le drame de la fantaisie, les découvertes de l’inspiration. Elle sait bien que les romans ne sont pas autre chose que des secrets de famille, et cette révélation audacieuse aguiche la curiosité de tous les passants inexprimés.

d) La littérature est aussi vaste que la pensée humaine. C’est la manifestation intellectuelle de l’humanité dans ce qu’elle a de plus élevé avec les Arts, la Science et avec les Inventions.

Pour créer une littérature, il a fallu que l’homme dispose de loisirs. Partout où il est parvenu à s’en créer un peu, aussitôt la littérature a fleuri.

Sous ses formes multiples : poésie, drame, histoire, éloquence, la littérature fut la première éducatrice des peuples. Elle eut d’abord pour base l’étude et pour but l’exposition lumineuse de ces faits naturels sur lesquels est fondée la science moderne. Elle apparaît la première dans l’enfance des sociétés, dès que l’homme sait coordonner ses idées et possède le moyen de les transmettre. Elle fixe d’abord, dans un langage incorrect et grossier, les faits mémorables, transmet les noms des héros, des pasteurs du peuple ou des dompteurs de monstres ; puis, s’enhardissant, elle dépeint les grande spectacles de la nature ; chante les guerres et adresse des hymnes aux dieux,

Quand la littérature a produit ainsi une certaine masse d’œuvres remarquables, l’examen même de ces inspirations directes crée une autre source de littérature, la critique qui juge et compare entr’elles les productions des âges précédents.

e) La littérature n’est pas un miroir de la société. L’expression littéraire peut renforcer certains traits de la réalité, elle peut en combattre d’autres, ou les passer sous silence. La littérature n’est donc pas un reflet mais une recomposition de la vie. Il arrive souvent qu’elle accuse des divergences qui dans la réalité se compensent et s’effacent. Une psychologie des nations basée sur la littérature risque fort d’aboutir à des résultats trompeurs et artificiels.[1]

f) Utilité de la littérature. — On peut donner des buts divers à la littérature. La littérature doit servir le peuple, relier les générations les unes aux autres, faire la conscience de l’Humanité. En détruisant les formes désuètes, en construisant avec les éléments nouveaux, en maintenant l’héritage et l’acquit, elle doit être à la fois au service de la Tradition et de la Révolution.

g) La littérature a donné lieu : 1° aux œuvres elles-mêmes, à leur collection dans les meilleurs textes : 2° aux écrits sur les œuvres de la littérature, écrits répartis en quatre groupes : a) exposé de l’enchaînement de la production des œuvres ; b) la littérature comparée ; c) la critique littéraire (voir n° 254) ; d) la théorie littéraire (voir n° 224.1).[2]

L’étude littéraire des œuvres est entrée dans un détail extrême avec la discipline nouvelle dite la stylométrie. Ainsi pour établir la chronologie des écrits de Platon, Winsenty Lutoslawski a créé toute une méthode. (The origin and growth of Plato’s logic, 1897.) Cette méthode a son point de départ dans un relevé minutieux de plus de 500 particularités qui caractérisent le style des derniers écrits de Platon, le Timée et les Lois. Elle a été décrite pour les lecteurs de langue française par M. P. Tannery dans un article de la Revue Philosophique (1899, p. 159)

2. Historique.

a) Les littératures, en tant que l’ensemble des productions des écrivains d’une nation, d’un pays, d’une époque ont donné lieu à des productions immensément nombreuses et parmi elles à des œuvres magistrales. Ont existé successivement les littératures indoue, hébraïque, chinoise, grecque, romaine, les littératures italienne, espagnole, française, allemande. Il y a aussi les littératures russe, Scandinave, hollandaise-flamande, hongroise, polonaise, roumaine. Et d’une manière générale chaque langue possède ses œuvres littéraires, notamment les langues rendues récemment à la liberté ; la littérature lettone, lithuanienne, finoise et toutes les littératures particulières des nationalités comprises dans la Russie des Soviets.

b) Les littératures ont procédé largement les unes des autres ; en Occident, elles ont procédé très directement des lettres greco-latines. Le vieux français et le vieux provençal, les langues d’oc et d’oïl, dérivées notamment du latin, créent des œuvres communes et imitées partout (Épopées françaises). Au XVe et au XVIe siècle, l’Italie est un foyer lumineux auquel d’autres nations empruntent leur lumière. L’Angleterre et la France rayonnent aussi simultanément au XVIe siècle ; au commencement du XVIIe siècle, la France emprunte son théâtre à l’Espagne et ses madrigaux à l’Italie. À la fin du XVIIe siècle, c’est au contraire l’Italie et l’Espagne qui empruntent à la France. Au XVIIIe siècle, les littérateurs français s’enjouent de l’Angleterre, et en transportent chez eux la philosophie, puis le théâtre. La Russie produit une littérature largement française. Au XIXe siècle, le Romantisme, puis le Réalisme sont de tous les pays. Au XXe siècle apparaissent des formes de littérature internationale.

  1. Curtius. — Essai sur la France, Paris, Grasset 1932.
  2. Verest, J. (S. J.). — Manuel de Littérature. Principes. Faits généraux. Lois. 3e édition. 676 p.