Page:Otlet - Traité de documentation, 1934.djvu/437

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
430
53
AVENIR DU LIVRE

cerveau de l’homme alors que celui-ci devrait dominer la science. Descartes, Leibnitz encore connaissent toute la science. Le plus grand savant de nos jours, Poincaré, connaissait toute la mathématique, la physique et une partie des sciences naturelles. Et c’était tout. De grands moyens sont devenus nécessaires et l’on doit noter les suivants : 1° la division plus grande du travail ; 2° le travail en coopération ; 3° l’établissement de centres d’informations spéciales où l’on aura le droit de s’adresser pour toutes questions spéciales ; 4° la systématisation ou synthèse qui remplace les millions de détails par quelques centaines de lois ou propositions générales ; 5° la mathématique qui fournit avec ses formules des moyens de condensation puissants ; 6° la visualisation par le développement des moyens instructifs de représentation et notamment schématiques ; 7° le développement des machines intellectuelles ; 8° le livre irradié fait pour la lecture par tous, soit par la lecture individuelle et l’audition d’un livre désiré, soit par la demande radiophonique de renseignements individuels ; 9° la télévision : le livre, le document que sur demande on présentera à la lecture sur le téléviseur, soit pour tous, soit pour chacun. On peut imaginer, en attendant la télévision, des livres transcrits sur plaque phonographique à mettre en débit constant : chaque livre aurait sa longueur d’onde et serait rendu audible.[1]

g) Le progrès intellectuel général dépendra aussi des conditions suivantes qui toutes se rattachent à la Documentation ;

1° Une langue plus simple, plus puissante, plus générale.

2° Une classification plus logique, plus universelle et d’une notation plus intégrale.

3° Une écriture plus unifiée, plus rapide, plus lisible.

4° Une illustration et une figuration plus générale.

5° Une mécanisation plus complète : pouvoir parler devant un appareil qui produise immédiatement la transcription écrite de la parole ; inversement pouvoir présenter un texte écrit à une machine qui le lira à haute et intelligible voix.

6° Un exposé à la fois plus analytique et plus synthétique.

7° Une science plus comparable et mieux structurée.

3. — La Classification, clé de voûte de la Pensée et du Document.

a) L’Humanité est a un tournant de son histoire. La masse des données acquises est formidable. Il faut de nouveaux instruments pour les simplifier, les condenser ou jamais l’intelligence ne saura ni surmonter les difficultés qui l’accablent, ni réaliser les progrès qu’elle entrevoit et auxquels elle aspire.

b) La Connaissance primitive, l’Activité primitive, la Sensibilité primitive, étaient fort simples, et elles étaient étroitement liées. La Langue créée alors fut un moyen d’exprimer les unes et les autres. Elles ouvrent à l’homme l’horizon nouveau et la possibilité de vaincre les premières difficultés. La langue en effet, lui donna un moyen de perfectionner la Pensée intérieure et la mémoire. Elle mit en sa possession un instrument grâce auquel il put déterminer en quelque sorte toutes les choses à sa portée, les évoquer, les analyser, les combiner. L’Écriture fut inventée, autre moyen de s’exprimer, idéographiquement d’abord, alphabétiquement ensuite. La Logique se constitua parallèlement à la Grammaire et à la Littérature écrite. Il advint que les mots se formèrent séparément, mais tous s’interfluençant et constituant le système de la langue. Après un long temps, l’examen seul de son langage amena l’homme à constituer sa Science et sa Philosophie. Un jour vint où la Méthode s’affirma et par elle le moyen régulier d’examiner les choses en elles-mêmes, d’en découvrir de nouvelles, de refouler le langage au deuxième plan. La Systématisation des connaissances en fut accrue. La Terminologie scientifique fit ses premiers progrès et l’écriture alphabétique apparut insuffisante au point de faire place à la Notation et à la Figuration, au Systématique. La Mesure, c’est-à-dire la comparaison précise et exprimée en nombre fit son entrée et par elle les sciences se modelèrent peu à peu sur le type des Mathématiques, faisant place au calcul et revêtant la forme déductive. Cependant s’affirma la Technique, terme qui dans son sens large signifie les applications des sciences aux problèmes de la vie. L’Activité pure en fut entièrement transformée. Elle se fit raisonnée, englobant des ensembles de plus en plus larges. Par l’Organisation, la Standardisation et la production en séries elle accrut son Efficience.

c) Telle est à larges traits, l’esquisse de l’évolution accomplie, véritable déterminisme des faits, liés les uns aux autres et s’engendrant les uns les autres.

Le moment actuel est caractérisé par l’existence simultanée de tous les éléments successivement acquis. Il est marqué aussi par la nécessité de les faire dominer par quelque idée ou formule d’ordre supérieur. Si cette idée n’intervient, le risque est grand, de voir ces éléments dispersés, opposés, contradictoires, l’impossibilité apparaît aussi si on laisse les choses aller d’elles-mêmes, de pouvoir réaliser les grands progrès entrevus. C’est dire que notre époque veut ardemment la Synthèse. Elle est convaincue de l’unité fondamentale des choses et de l’inter-dépendance de tout ce qui les compose. Elle sait que, quelle que soit la structure et la consistance de la réalité, elle ne peut saisir ni concevoir celle-ci qu’à travers son propre esprit dont la loi suprême est l’unité. À priorité, sa doctrine est donc l’Universalisme, c’est-à-dire un système qui embrasserait toute chose. Universalisme pour la

  1. Sur les transformations du livre et son avenir, voir la mémoire Paul Otlet dans le Festchrift du Musée Gutenberg, Mayence 1925.