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ÉLÉMENTS LINGUISTIQUES

cathédrale de Spire — l’antique sanctuaire qu’illustrèrent les saint Bernard, Conrad et Frederick Barberousse —, en donnent une description illustrée sous ce titre bien moderne « De Amplificatoribus in œde spirensi institutis ». Si haut parleur était traduit amplificator et microphone microphonum, les « Spezialbahnsprecher » se disaient Tubi, et les « Siemens Bändehenmikrophon » s’exprimaient Laminatum. De l’ensemble était-il dit « Effectus autem est 200 Watt ».

En Allemagne a été fondée en 1933 Societas Latina et sa revue en latin (München, G. Horth). Peano et ses collègues dans Schola et Vita font campagne pour le latin simplifié sans flexion.

8. Une œuvre lente mais formidable se poursuit sous nos yeux : la refonte systématique du langage. Elle s’étend : 1o aux ensembles linguistiques d’une part, en constante évolution ; 2o à la création d’une langue internationale ; 3o aux ensembles désignés conventionnels, qui vont en se multipliant, depuis les symboles mathématiques jusqu’à la nomenclature de la chimie.

223.4 Espèces de langues.

1. On distingue les langues de plusieurs manières. 1o d’après le lieu où elles sont parlées (asiatiques, africaines, américaines ou océaniennes) ; 2o d’après leur dérivation en familles dont les principales sont ; a) les langues sémitiques : hébreu, arabe ; b) les langues aryo-européennes : du midi, sanscrites, iraniennes (zend), pélasgiques (grec, latin), celles du nord : celtiques, germaniques, slaves.

2. On a posé cette question : la civilisation a-t-elle tout à gagner à la multiplication de foyers de culture, notamment à la revision des langues et des littératures régionales ? On enseigne aujourd’hui en finlandais à Helsinski, en esthonien à Tallin ; en lithuanien à Kaunas, en letton à Riga, alors que le russe y dominait seul il y a vingt ans. La science et l’unité humaine ne sont elles pas compromises par cette dispersion d’efforts et par cette surabondance de moyens d’expression ? (Th. Ruyssen.)[1]

223.5 Langue littéraire.

Certains écrivains ont inventé quelquefois pour eux-mêmes une syntaxe et une grammaire. On a été amené à poser le principe que le style ne doit pas sortir des traditions normales de l’activité intellectuelle.

(Gonzague True.)

Gustave Flaubert, écrit M. Brunot, avait la tête pleine de l’idée d’un style irréalisable qui « devait être rythmé comme les vers, précis comme le langage des sciences, qui nous entrerait dans l’idée comme un coup de stylet, et où notre pensée voyagerait sur des surfaces lisses comme lorsqu’on file dans un canot avec bon vent arrière. Forçat du verbe, sentant ton premier jet lâche et même incorrect, il cherche dans une angoisse de chaque jour cette forme que personne n’a jamais possédée, s’acharnant sur une page, raturant, s’interrompant pour se remettre à l’école des grands écrivains de tous les temps, puis se réappliquant à la tâche, toujours inassouvi, toujours rugissant et de son impuissance et de la pauvreté des matériaux que la langue lui fournit ». Il déclamait ses phrases, les écrivait au tableau noir et s’estimait heureux lorsque, après dix heures de travail acharné, il avait écrit soixante lignes dont il était à peu près satisfait.

Ce qui ne peut s’exprimer directement le sera par la voie détournée de la suggestion. Pour un véritable talent la suggestion est beaucoup plus puissante que l’expression directe (par ex. transférer aux choses les qualités des hommes et aux hommes celles des choses.[2])

Des poètes ont analysé les instruments de travail, les modes d’expression favoris, le choix des mots pour leur sonorité, leur valeur plastique, images, symboles, allégories. D’autres ont examiné l’architecture de leur œuvre : l’esprit du poète qui choisit, organise, ralentit ou précipite l’expression poétique.[3]

223.6 Orthographe.

1. L’art d’écrire correctement se disait orthographia, qui en français donne orthographie, ancien synonyme d’orthographe. Ce terme exprime l’art d’écrire les mots d’une langue correctement, c’est-à-dire avec les caractères et les signes consacrés par l’usage.

Le latin, le grec, l’italien, l’espagnol s’écrivent comme ils sont parlés. Il n’en est pas de même du français et de l’anglais.

2. L’orthographe française est fort compliquée et cela pour plusieurs motifs. Il y a l’écriture des mots en eux-mêmes et le rôle qu’ils jouent dans le discours. Au lieu de correspondre à la prononciation comme c’est son rôle naturel, l’orthographe dépend de l’étymologie dont elle s’écarte néanmoins très arbitrairement et très fréquemment ; de l’analogie qui est constamment violée ; de l’usage surtout qui est presque toujours abusif, souvent incertain et contesté. À ces causes de confusion, il convient d’ajouter les vices de l’alphabet français où l’on trouve : 1o le double emploi de c, ç et s, de e, è, ai et ei, de f et ph, de g et j, de s et z, etc. ; 2o le double rôle de h, ch, et. Enfin l’étonnant abus des lettres nulles qui hérissent un nombre immense de mots. À toutes ces difficultés dues à l’orthographe d’usage s’ajoutent celles de l’orthographe de règle. Il y a en français une mul-

  1. Le droit des peuples de disposer d’eux-mêmes. Revue de métaphysique et de morale. 1933.
  2. Boillot : Sur l’affiche de Ulen pour la plume Waterman.
  3. Paul de Reul : L’art et la pensée de Robert Browning. Bruxelles, Lamertin 1929, 527 p.