Page:Ourliac - Nouvelles.djvu/278

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— Cela signifie tout au plus que vous êtes poète. Avez-vous appris la musique ?

— À l’âge de douze ans, je me passionnai, au collège, pour la manière dont on tenait la flûte. C’était selon moi, la posture la plus noble parmi tous les instruments. Le basson m’avait l’air bourgeois et fait pour des gens obèses. Les grimaciers de Bologne m’avaient gâté le violon, et le jeu m’en paraissait ingénument ridicule. Le trombone était trop long pour ma taille. Le cor gonflait les joues à les faire crever. La clarinette me faisait pleurer rien que d’y songer. Je choisis donc la flûte ; mais, comme il manquait un triangle à la classe de musique, on me fit triangle. Je m’y résignai, et cet instrument m’a donné encore de bien fortes émotions. Je me souviens surtout d’un certain Domine Salvum ! Un crescendo forcené expirait brusquement par un grand coup de caisse qui semblait exterminer tous les instruments, et le triangle seul, le triangle tout seul, fournissait par là-dessus une mesure et demie. J’avais un solo ! un solo de triangle au milieu de quarante exécutants ! moi qui ne savais point encore une gamme sur la flûte ! Il me souvient encore qu’un jour de la Fête-Dieu, je faillis m’évanouir en m’écoutant dans ce mémorable passage. Je vibrais avec l’instrument ; mon cœur sautait à chaque coup, je n’entendais plus, et jamais aucun chef-d’œuvre d’exécution ne m’a enivré à ce point. Le lendemain, on me reprocha d’avoir commencé ma mesure trop tôt et de l’avoir finie trop tard.

Stranz se tourna vers le prince, en hochant la tête.

— Je dois ajouter, repris-je aussitôt, que, depuis, j’ai appris pendant fort longtemps la musique vocale.