Page:Ovide - Œuvres complètes, Nisard, 1850.djvu/292

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cortège triomphal. Garde fidèle du palais des Césars, tu couvriras de tes rameaux tutélaires le chêne(35) qui s’élève à la porte de cette auguste demeure ; et de même que ma longue chevelure, symbole de jeunesse, sera toujours respectée et du fer et des ans, je veux aussi parer ton feuillage d’un printemps éternel. » Il dit, et le laurier, inclinant ses jeunes rameaux, agita doucement sa cime : c’était le signe de tête de Daphné, sensible aux faveurs d’Apollon.

VIII. Il est, dans l’Hémonie(36), une vallée qu’environnent de toutes parts des rochers et des bois ; on l’appelle Tempé ; c’est là que le Pénée, prenant sa source au pied du Pinde, roule à grand bruit ses flots écumants. Dans sa chute impétueuse, il élève des nuages de vapeurs qui retombent en pluie légère sur la cime des forêts d’alentour, et le fracas de son torrent fatigue au loin les échos. C’est le séjour, c’est la retraite sacrée de ce grand fleuve ; c’est là qu’assis au fond d’une grotte taillée dans le roc, il commande à ses flots et aux Nymphes qui les habitent. Là s’arrêtent d’abord tous les fleuves de la contrée, incertains s’ils doivent féliciter ou consoler le père de Daphné. C’étaient le Sperchius(37) au front de peupliers, l’Énipée(38) aux ondes turbulentes, et le vieil Apidan(39), et le paisible Amphryse(40), et l’Éas(41), et ceux même qui, courant où les guide leur impétuosité, vont, après de longs détours, reposer dans l’Océan leurs ondes fatiguées. Inachus(42) seul est absent ; retiré dans sa grotte profonde, il grossit ses eaux de ses larmes ; malheureux père ! il pleure Io, sa fille, qu’il a perdue. Voit-elle encore le jour ? est-elle descendue chez les morts ? Il l’ignore, et comme il ne la trouve nulle part, il croit qu’elle n’est plus sur la terre ; il craint même pour elle de plus grands malheurs. Jupiter l’avait vue s’éloigner des bords du fleuve paternel : « Ô Nymphe, avait-il dit, Nymphe digne de Jupiter, quel est l’heureux mortel appelé à partager ta couche ? Viens sous l’épais ombrage de ces bois (et il les lui montrait), viens chercher un abri contre les feux que le soleil, au milieu de sa course, darde du haut du ciel. Ne crains pas de pénétrer seule dans ces forêts, retraite des bêtes farouches ; un dieu t’y servira de guide et de protecteur, et ce ne sera pas un dieu vulgaire ; mais celui-là même qui, de sa main puissante, tient le sceptre des cieux, et qui lance la foudre vagabonde. Arrête, et ne fuis pas. » Elle fuyait en effet. Elle a déjà franchi les prairies de Lerne, les campagnes et les bois du Lyrcée, lorsque le dieu, enveloppant au loin la terre de ténèbres, arrête la Nymphe dans sa fuite, et triomphe de sa pudeur.

Cependant Junon abaisse ses regards sur la campagne, et, surprise de voir que des nuées passagères aient changé le jour en une nuit profonde, elle reconnaît bientôt que ces vapeurs ne s’élèvent point du fleuve ni du sein humide de la terre ; elle cherche de tous côtés cet époux