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les métamorphoses

rit. « Reçois, dit-elle, le salaire des soins donnés à son enfance. »

Au-dessus de la mer s’élève un rocher dont la base creusée par les flots les protège contre les tempêtes, et dont la cime escarpée s’avance au loin sur les eaux. Ino puise des forces dans son délire, gravit le rocher, et sans que la crainte l’arrête, elle se précipite dans les flots avec son fils, qu’elle porte dans ses bras : l’onde qu’elle frappe en tombant se couvre d’une blanche écume. Cependant Vénus, touchée des maux que sa petite-fille souffre, sans les avoir mérités, aborde ainsi Neptune d’une voix caressante : « Dieu des mers, toi qui reçus en partage le plus puissant empire, après celui des cieux, ô Neptune ! j’attends beaucoup de toi ; prends pitié des miens, que tu vois ballottés sur les vastes mers d’Ionie, et reçois-les au nombre des dieux de ton royaume. J’ai déjà ressenti les bienfaits de tes ondes, s’il est vrai que j’aie été formée de l’écume au sein des profonds abîmes, et que je porte un nom grec en témoignage de mon origine. » Neptune accueille sa prière par un signe favorable : il dépouille Mélicerte et sa mère de ce qu’ils ont de mortel, imprime sur leur front l’auguste majesté des dieux, et change à la fois leur nom et leur visage. Elle est Leucothoé, son fils est le dieu Palémon.

Les compagnes d’Ino suivent ses traces de toute la vitesse de leurs pas : elles voient la dernière au sommet du rocher, et ne doutant pas de sa mort, elles déplorent la ruine de la famille de Cadmus, meurtrissent leur sein, déchirent leurs vêtements et arrachent leurs cheveux. Elles accusent l’injustice de la déesse, et l’excès de sa cruauté envers sa rivale. Offensée de leurs plaintes amères, Junon s’écrie : « Vous serez vous-mêmes l’exemple le plus terrible de cette cruauté. » L’effet suit de près la menace : au moment où la plus tendre des compagnes d’Ino s’écriait : « Je suivrai la reine au fond de la mer, » elle veut s’élancer, et ne peut plus se mouvoir ; elle reste attachée au rocher. Une autre veut encore se frapper, mais elle sent raidir ses bras levés sur son sein. Celle-ci étend ses mains sur l’abîme des flots, et ses mains, changées en pierres, durcissent étendues ; celle-là portait les doigts à sa tête pour arracher ses cheveux, et tout à coup ses cheveux durcissent entre ses doigts de pierre. Chacune demeure immobile dans l’attitude où le changement est venu la surprendre : quelques-unes, transformées en oiseaux, et maintenant encore hôtes de cette mer, effleurent du bout de leurs ailes la surface des eaux.

III. Cadmus ignore que sa fille et son petit-fils sont au nombre des divinités de la mer. Cédant à sa douleur, vaincu par tant de revers l’un à l’autre enchaînés, par tant de prodiges dont il fut le témoin, il s’exile de la cité qu’il a fondée, comme si la destinée qui le poursuit