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les métamorphoses

cus. Ces tiges nouvellement coupées, et dont la sève spongieuse est encore pleine de vie, attirent le venin de la Gorgone, et se durcissent en la touchant ; les rameaux, le feuillage contractent une roideur qu’ils n’avaient point encore. Les nymphes de la mer essaient de renouveler ce prodige sur d’autres rameaux, et à chaque fois se réjouissent d’y avoir réussi. À diverses reprises, elles en jettent les débris dans les eaux, comme autant de semences. Jusqu’à ce jour, le corail(43) a conservé la même propriété : il se durcit au contact de l’air ; osier flexible sous les ondes, il devient une pierre hors de la mer.

VI. Persée élève à trois dieux trois autels de gazon ; l’un à gauche, pour Mercure ; l’autre à droite pour toi, chaste déesse des combats, et celui du milieu pour Jupiter. Il immole à Minerve une génisse ; au dieu qui porte des ailes, un veau ; à toi, maître des dieux, un taureau. Aussitôt il emmène Andromède, et ne veut qu’elle pour sa dot et pour prix d’un si glorieux exploit. L’hyménée et l’Amour allument leurs flambeaux ; on répand à pleines mains les parfums sur la flamme, on suspend aux portiques des guirlandes de fleurs ; aux sons du luth, de la lyre et de la flûte s’unissent des hymnes joyeux, interprètes de la félicité et de l’allégresse publiques. Les portes du palais s’ouvrent et laissent voir au loin l’or qui décore ses portiques ; l’élite des Céphéens prend place au somptueux banquet préparé par le roi. À la fin du repas, alors qu’un vin généreux anime les esprits et les met en liberté, le fils de Danaé veut connaître les mœurs et les usages de cette contrée ; Lyncides, l’un des convives, s’empresse de lui répondre et de lui conter et ces usages et ces mœurs. Après l’avoir satisfait, il ajoute : « Maintenant, intrépide Persée, dis-nous, je t’en conjure, par quel effort de courage et par quel stratagème ton bras a pu trancher cette tête hérissée de serpents. — Sous les flancs glacés de l’Atlas, répond le petit-fils d’Agénor, il est un lieu(44) protégé par de solides barrières de roc ; à l’entrée habitaient les deux filles de Phorcus ; elles n’avaient qu’un œil(45), dont elles se servaient tour à tour. Tandis que l’une le remettait à l’autre, je le dérobe par une ruse habile, en substituant furtivement ma main à celle qui devait le recevoir ; alors, par des sentiers cachés, inaccessibles, entrecoupés d’horribles forêts et de rochers énormes, j’arrive à la demeure des Gorgones ; çà et là, dans les champs et sur les routes, j’avais aperçu des figures d’hommes et d’animaux changés en pierres à l’aspect de Méduse. Son visage hideux s’offrit aussi à mes regards, mais réfléchi sur l’airain du bouclier que portait ma main gauche, et tandis qu’un lourd sommeil engourdissait le monstre et ses couleuvres, je séparai sa tête de son cou. Soudain Pégase, qui vole sur des ailes rapides, et Chrysaor(46), son frère, naquirent du sang de la Gorgone. » Persée fait ensuite le récit véri-