Page:Ovide - Œuvres complètes, Nisard, 1850.djvu/430

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monstre à double forme ; entends ma voix et ne m’enlève pas mon bien. Si tu n’as aucun respect pour mes droits, que la roue infernale de ton père t’apprenne du moins à éviter de coupables amours. Tu ne m’échapperas pas : en vain tu comptes sur ta vitesse, égale à celle d’un coursier ; cette flèche saura t’atteindre sans que je te poursuive. » L’effet suit de près la menace, et le trait qu’il lance perce le dos du fuyard. La pointe du fer recourbé se fait jour à travers sa poitrine ; à peine Nessus l’a-t-il arraché, que de sa double blessure, le sang, mêlé aux poisons de l’hydre de Lerne, jaillit : il le recueille : « Non, je ne mourrai pas sans vengeance ! » dit-il en lui-même ; et il remet à celle qu’il voulait enlever sa tunique teinte d’un sang fumant encore, comme un don précieux pour rallumer l’amour de son époux.

III. Un long espace de temps s’écoula ; les exploits du grand Hercule avaient rempli la terre de sa gloire et fatigué la haine de sa marâtre. Il revenait vainqueur d’Œchalie(5), et sur le Cénœum(6), consacré à Jupiter, il allait s’acquitter d’un vœu par un sacrifice, lorsque la Renommée, dont la voix indiscrète se plaît à mêler la fable à la vérité et à grandir par ses mensonges les plus légères rumeurs, t’apprend, ô Déjanire, la passion qui enchaîne auprès d’Iole le fils d’Amphitryon. Amante crédule, elle s’alarme au bruit de ce nouvel amour, et d’abord s’abandonne à sa douleur ; l’infortunée soulage son désespoir par des larmes ; mais bientôt : « Pourquoi pleurer ? dit-elle ; ma rivale se réjouira de mes pleurs. Elle approche ; hâtons-nous, et trouvons quelque moyen nouveau, tandis qu’il en est temps, et qu’une autre n’a pas encore usurpé ma couche. Dois-je me plaindre ou me taire ? retourner à Calydon ou rester en ces lieux ? Dois-je sortir de ce palais, ou bien, si mon pouvoir ne va pas au-delà, m’opposer à leur amour ? Peut-être, en me souvenant, ô Méléagre, que je suis ta sœur, peut-être oserai-je le crime ; peut-être montrerai-je, par le meurtre de ma rivale, ce que peut le désespoir d’une femme outragée. » Son esprit s’agite en mille pensées : elle résout enfin d’envoyer à son époux la tunique baignée du sang de Nessus, et destinée à un amour expirant, sans savoir que ce tissu doit être la cause de tant de deuil. Elle le confie à Lichas qui n’en connaît pas le danger : Infortunée ! elle le conjure par les plus douces prières d’offrir ce présent à son époux. Le héros le reçoit sans défiance, et couvre ses épaules du venin de l’hydre de Lerne. Il jette sur la flamme naissante l’encens qui monte aux cieux avec ses prières, et répand le vin à pleines coupes sur le marbre des autels. Aussitôt, le poison s’échauffe, et rendu plus actif par la flamme, il circule dans ses veines et pénètre tout son corps ; aussi longtemps qu’il peut résister à la douleur, le courage d’Alcide comprime la plainte ; mais, sa constance une fois vaincue par l’excès du mal, il repousse