plaines de Panché. Neuf fois le retour du croissant nocturne avait éclairé ses courses vagabondes, lorsque, brisée de fatigue, elle se laisse tomber sur la terre de Saba. Hélas ! son flanc portait à peine le fardeau de la maternité ; alors, ne sachant quels vœux former, partagée entre la crainte de la mort et le dégoût de la vie, voilà les prières qu’elle adresse aux dieux : « Ah ! si le repentir vous désarme, entendez-moi, dieux justes ! Oui, j’ai mérité mon sort et j’en accepte la rigueur ; mais épargnez aux morts comme aux vivants l’opprobre de ma présence ; bannissez-moi de l’un et de l’autre séjour ; changez mon être, et que la mort et la vie me soient également refusées. » Le ciel, que le repentir désarme, bénit les vœux suprêmes de Myrrha. Elle parle encore, et déjà la terre recouvre ses pieds, ses ongles se divisent ; il en sort des racines tortueuses, solide appui du tronc qui s’allonge ; les os deviennent bois, et la moelle y circule toujours ; le sang a formé la sève ; les bras sont les grands rameaux ; les doigts, les branches légères ; la peau se durcit en écorce ; déjà l’arbre s’élève : il presse le sein que le crime a fécondé ; la gorge est ensevelie : le cou même va disparaître. Myrrha n’attend pas son destin ; elle prévient le bois qui la gagne, et s’affaissant sur elle-même, elle se plonge au fond de son tombeau. Mais tout en perdant, avec sa forme, le sentiment de ses douleurs, elle pleure encore, et l’arbre qui l’emprisonne distille goutte à goutte de tièdes et précieuses larmes ; cette liqueur embaumée, c’est la myrrhe qui conserve son nom, et qui perpétuera sa mémoire jusque dans les siècles futurs.
VIII. Cependant le fruit de l’inceste a crû sous le bois maternel, et cherche à se dégager des liens qui le captivent. L’arbre en travail s’enfle, se tend. Le fardeau de l’amour déchire ses flancs douloureux, et la voix manque à l’expression de la souffrance. Myrrha ne peut invoquer le secours de Lucine ; mais elle semble prête à enfanter. Elle se recourbe, elle pousse des soupirs profonds, et des larmes roulent sur son écorce humide. L’indulgente Lucine accourt : elle touche de la main les rameaux gémissants et prononce les paroles libératrices. L’arbre s’entr’ouvre, l’écorce fendue rend à la vie son tendre dépôt. L’enfant crie : les Naïades le reçoivent, le couchent sur l’herbe molle, et l’arrosent des pleurs de sa mère. Sa beauté forcerait le suffrage de l’envie elle-même. Telle, oui, telle est la gracieuse nudité que le pinceau prête aux Amours. Adonis leur ressemble : pour qu’il ne manque rien à la ressemblance, ou donnez-lui leurs flèches légères, ou ôtez-les à ses rivaux !
Le temps coule insensiblement ; il s’envole d’une aile rapide, et rien n’est si prompt que la fuite des années. Cet enfant qu’un arbre enfermait naguère et qui voit à peine le jour, cet enfant, hier le plus beau des enfants, le voilà dans l’adolescence, le voilà jeune homme, le voilà plus beau qu’il n’a jamais été, le voilà qui