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les métamorphoses

l’attend impassible ; il le frappe de sa brillante épée, brise le bouclier et le casque, mais voit son glaive s’émousser sur la poitrine de Cycnus. Impatient de fureur, trois ou quatre fois il frappe de son bouclier et du pommeau de son glaive, le visage et la tempe de son ennemi : Cycnus recule ; il le suit, il le presse, il le trouble, l’étonne et ne lui laisse pas de relâche. La peur s’empare de Cycnus ; un voile s’étend sur ses yeux, et tandis qu’il recule, il rencontre une pierre, qui le fait tomber à la renverse. Achille, d’un puissant effort de ses bras, le pousse, et de son bouclier, de ses robustes genoux presse sa poitrine, tire les liens qui attachent son casque sous le menton, serre sa gorge, ferme tout passage à sa respiration et l’étouffe. Déjà il s’apprête à dépouiller son ennemi vaincu ; mais il ne voit plus que ses armes. Le dieu des mers a changé le corps de son fils en un oiseau blanc, qui conserve le nom qu’il portait autrefois.

III. Ces premiers combats sont suivis d’un repos de plusieurs jours : des deux côtés on dépose les armes ; des deux côtés, une garde vigilante veille aux murs d’Ilion et aux retranchements des Grecs. Le jour était venu où le vainqueur de Cycnus devait apaiser Pallas par le sacrifice d’une génisse. Le héros présente sur l’autel enflammé les membres de la victime, et la fumée, offrande agréable aux dieux, s’élève dans les airs. Le feu du sacrifice dévore une part des membres de la génisse ; l’autre part est réservée pour le festin. Les chefs des Grecs se couchent sur les lits, se repaissent des chairs rôties de la victime, et apaisent leur soif avec le vin qui fait oublier les soucis. Après le repas, ce ne sont ni les accords de la lyre, ni des voix harmonieuses, ni la flûte aux trous nombreux qui charment leur loisir ; ils passent les heures de la nuit dans un long entretien dont le sujet est la vertu guerrière : ils redisent et leurs exploits et ceux de l’ennemi ; ils se plaisent à rappeler tour à tour les travaux qu’ils ont entrepris, les dangers qu’ils ont courus. Quel autre sujet d’entretien plus digne du grand Achille et de ceux auxquels il prête son attention ? L’exploit dont ils parlent le plus, c’est la récente défaite de Cycnus. Tous s’étonnent de ce que ce guerrier fût invulnérable et que le fer s’émoussât sur son corps : le petit-fils d’Éaque s’en étonne avec eux. Mais Nestor : « Cycnus, dit-il, est le seul guerrier de votre âge qui ait pu mépriser les atteintes du fer, et qu’aucune arme n’ait pu blesser ; mais moi-même autrefois, j’ai vu, frappé de mille coups et le corps sans blessure, le Thessalien Cénée(5), Cénée, fameux par ses exploits, et qui vit le jour sur les sommets de l’Othrys ; sa valeur fut d’autant plus merveilleuse qu’il était né femme. »

Tous sont émus au récit de ce prodige inouï