Page:Ovide - Œuvres complètes, Nisard, 1850.djvu/505

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
477
les métamorphoses

de tant d’enfants, de gendres, de brus, maintenant dans l’exil, pauvre, traînée loin des tombeaux des miens, future esclave de Pénélope ! Et quand je remplirai ma tâche : « Voyez, dira-t-elle aux femmes d’Ithaque, en me montrant du doigt, c’est la mère du fameux Hector, c’est l’épouse de Priam. » Après tant de deuils, ô ma fille, seule consolation d’une mère désolée, tu meurs sur la tombe d’un ennemi ; c’est pour un ennemi, pour apaiser ses mânes, que je t’ai enfantée ! D’où me vient cette âme de fer qui me fait vivre encore ? Que tardé-je ? À quoi me réserves-tu, vieillesse de malheur ! Pourquoi, dieux barbares, sinon pour des larmes nouvelles, prolongez-vous ma vie déjà si longue ? Qui aurait cru que l’on pût trouver Priam heureux après la ruine de Troie ? Oui, heureux par sa mort ; car il ne t’a pas vu égorger, ô ma fille ! et il a quitté la vie en même temps que le trône. Mais au moins, fille de roi, tu seras dotée de nobles funérailles, et ton corps reposera dans le tombeau de tes ancêtres ! Non, c’est encore trop pour la maison de Priam ! Pour honneurs funèbres, tu auras les larmes de ta mère, et une poignée de sable sur un rivage étranger. J’ai tout perdu, tout, excepté celui pour qui je puis vivre encore un moment, Polydore, mon enfant bien-aimé, autrefois le plus jeune de mes fils, et le seul aujourd’hui. Il est ici, confié au roi des Thraces. Mais hâtons-nous de laver ces cruelles blessures, ce visage souillé de sang. »

Elle dit, et, d’un pas tremblant, elle s’approche du rivage : « Une urne ! Troyennes, donnez-moi une urne ! » s’écriait l’infortunée, en s’arrachant les cheveux. Elle voulait puiser dans la mer. Soudain elle aperçoit sur le sable le cadavre de Polydore, rejeté par la vague, et ses larges blessures. Les Troyennes poussent un cri d’horreur ; mais Hécube est restée sans voix ; muette de douleur, elle gémit dans son âme, elle dévore les larmes qui l’étouffent ; elle est là comme une pierre, immobile et glacée ; les yeux, tantôt fixés sur la terre, tantôt levés au ciel avec menaces ; puis elle veut voir le visage de son enfant, elle veut voir ses blessures, ses blessures surtout ; sa colère s’amasse et gronde, son imagination s’enflamme : elle se vengera, elle le veut en reine. Son âme a vu le châtiment, et elle est toute à cette image : semblable à la lionne à qui l’on vient d’enlever son lionceau, et qui suit à la trace son ennemi sans le voir, Hécube, désespérée, furieuse, faible de corps, mais forte de cœur, va trouver l’assassin et lui demande un entretien ; elle veut lui montrer un trésor qu’elle destine à son fils. Le crédule Polymestor, attiré par l’espoir d’un nouveau butin, la suit dans un lieu retiré, et, avec une douceur perfide : « Hâtez-vous, Hécube, lui dit-il ; songez