Page:Ovide - Œuvres complètes, Nisard, 1850.djvu/524

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l’herbe se mouille d’une rosée sanglante ; on entend les rochers pousser d’affreux mugissements ; les chiens aboient, de hideux reptiles souillent la terre, et l’on voit voltiger çà et là les ombres des morts : les soldats sont immobiles, muets d’horreur. Circé touche de sa fatale baguette tous ces visages épouvantés ; et on ne voit plus à leur place qu’une foule d’animaux sauvages ; pas un seul n’a conservé la forme humaine.

» Le soleil couchant s’était abaissé sur les rivages de Tartesse(10), et Canente avait en vain attendu Picus ; ses yeux avaient en vain épié le retour de son époux : ses esclaves et le peuple parcourent les forêts, à la lueur des flambeaux. Ce n’est pas assez pour la Nymphe de gémir et de pleurer, de s’arracher les cheveux et de se meurtrir le sein : elle s’échappe de la ville, et court çà et là, comme en démence, dans les campagnes du Latium. Six jours et six nuits, sans nourriture et sans sommeil, elle va au hasard par les montagnes et par les vallées : le Tibre la vit le dernier, épuisée de fatigue et de douleur ; elle s’était laissé tomber sur sa rive, et là, toute en pleurs, d’une voix triste et faible, elle murmurait un chant plaintif, comme le chant du cygne qui va mourir. Enfin tout son corps, épuisé par les larmes, se dissout peu à peu et s’évanouit dans les airs. Le lieu témoin de sa mort étrange en a conservé le souvenir, et les muses de la vieille Italie, les Camènes lui ont donné le nom de Canente.

Voilà, dit Macarée en finissant, de ces prodiges dont j’ai vu ou entendu raconter tant d’exemples, pendant le cours d’une année. Ce long repos nous avait amollis, et nous avions oublié et nos vaisseaux et la mer, quand Ulysse donna l’ordre de remettre à la voile. Mais Circé nous avait prédit de longues épreuves, de lointains voyages, de nouveaux écueils et de nouvelles tempêtes : cet avenir m’effraya, je l’avoue, et je me suis attaché à ce rivage. »

IV. Macarée avait terminé son récit. Énée renferme dans une urne les cendres de sa nourrice, et fait graver sur le tombeau ce peu de mots : « Ici repose Gaiète : ici le héros pieux qu’elle avait nourri, après l’avoir sauvée des flammes de Troie, a brûlé son corps dans les flammes du bûcher qu’il lui devait. » Les Troyens délient les câbles qui retenaient la flotte au rivage ; ils fuient les pièges, et l’île trop fameuse de Circé : ils viennent aborder non loin des bois sacrés qui ombragent le Tibre, à l’endroit où ses eaux, chargées d’un jaune limon, tombent dans la mer. Énée devient l’hôte et le gendre de Latinus, fils de Faune : mais ce n’est pas sans combats ; la belliqueuse nation des Rutules lui déclare la guerre ; Turnus lui dispute avec fureur celle qui avait dû être son épouse. L’Étrurie toute entière est aux prises