Page:Ovide - Œuvres complètes, Nisard, 1850.djvu/69

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qu’on v voit de cette déesse. Te rappelles-tu ces lieux, ou bien en as-tu perdu le souvenir avec le mien ? Nous tous y rendîmes, et ta bouche perfide parla ainsi la première : "La fortune t’a donné le droit de régler à ton gré ma destinée ; ma vie et ma mort sont dans tes mains. Pouvoir perdre un mortel, c’est assez pour l’orgueil de qui possède une telle puissance ; mais me sauver te donnera plus de gloire. Je t’en conjure par nos maux que tu peux alléger ; par ta race et la divinité de ton aïeul, dont le regard embrasse tout ; par le triple visage et les mystères sacrés de Diane ; par les autres dieux de ce pays, s’il en révère encore, ô vierge ! prends pitié de moi, prends pitié de mes compagnons ! Que tes bienfaits m’enchaînent à toi pour tout le temps de notre vie ! Que si tu ne dédaignes pas un Grec pour époux (mais comment les dieux pourraient-ils m’être aussi favorables ?), mon dernier souffle s’exhalera dans les airs, avant qu’une autre que toi partage ma couche comme épouse. J’en prends à témoin Junon, qui préside à la sainteté du mariage, et la déesse qui nous voit dans son temple de marbre."

Ces mots (et ils furent le moindre de tes artifices) touchèrent le cœur d’une jeune fille naïve, et ta main fut jointe à ma main. J’ai vu jusqu’à tes larmes couler : savent-elles donc tromper aussi ? Je fus ainsi bientôt prise à tes paroles. Tu domptes les taureaux aux pieds d’airain, sans que ton corps soit brûlé par leurs feux ; tu fends avec la charrue le sol dur qu’on t’a prescrit d’ouvrir, et tu remplis les sillons, en guise de semence, de dents envenimées : il en naît des soldats avec des glaives et des boucliers. Moi-même, moi qui t’avais donné le préservatif, je devins pâle et immobile, quand je vis ces guerriers naître tout armés, jusqu’à ce que ces enfants de la terre eussent tourné les uns contre les autres leurs épées fratricides.

Mais voici que le dragon vigilant, hérissé d’écailles retentissantes, siffle, et creuse avec son poitrail qui se replie, un sillon dans la terre. Où étaient alors tes richesses dotales ? Où étaient ta royale épouse, et l’isthme qui sépare les eaux d’une double mer ? Moi qui, à tes yeux, suis maintenant devenue une barbare, moi qui maintenant te parais pauvre et coupable, j’ai soumis au sommeil, par la puissance de mes charmes, ses yeux flamboyants ; tu as pu, grâce à moi, enlever sans danger la Toison. J’ai trahi mon père ; j’ai quitté mon royaume et ma patrie : l’exil, où que ce fût, je l’ai accepté comme une faveur. Ma virginité est devenue la proie d’un ravisseur étranger ; avec une mère chérie, j’ai abandonné la meilleure des sœurs. Mais, en fuyant, ô mon frère ! je ne t’ai pas laissé sans moi ; et là seulement ma lettre s’arrête : ce que ma main a osé exécuter, elle n’ose l’écrire ; j’aurais dû