Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/135

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pris, dispose à ton gré de tes amants. Tu peux feindre l’amour sans te nuire ; laisse croire que tu aimes ; mais prends garde que cet amour ne te rapporte rien. Refuse souvent de recevoir la nuit ; feins tantôt un mal de tête, allègue tantôt les jours consacrés à Isis. Ne fais pas attendre longtemps ton consentement, de peur qu’on ne s’habitue à se passer de toi, ou que l’Amour, trop souvent rebuté, ne se refroidisse. Que la porte, fermée aux prières, ne soit ouverte qu’aux largesses ; que l’amant accueilli entende les plaintes de l’amant repoussé. Si tu blesses ton amant, montre de la colère, comme s’il t’avait blessée le premier ; préviens ses reproches en l’accablant des tiens ; mais que ton ressentiment ne soit jamais de trop longue durée ; la colère prolongée a souvent engendré la haine. Les yeux doivent apprendre aussi l’art de pleurer, et tes joues à se tremper de larmes ; si tu veux tromper, ne crains point le parjure : Vénus rend la divinité sourde aux plaintes d’un amant trompé. Prends à ton service un esclave et une suivante habile ; qu’ils sachent indiquer ce qu’on peut acheter pour toi ; qu’ils réclament aussi pour eux quelques petits présents ; qu’ils demandent peu, mais à beaucoup de gens ; et il en sera bientôt comme d’un tas de blé que chacun contribue à grossir ; que ta sœur, ta mère et ta nourrice assiègent aussi ton amant de demandes : on amasse vite un riche butin quand plusieurs mains concourent à le former. Manques-tu de prétexte pour demander un cadeau, montre, à l’aide d’un gâteau, que c’est le jour anniversaire de ta naissance. Garde-toi surtout de laisser croire à ton amant qu’il n’a point de rival ; ôte-lui sa sécurité : sans cet aiguillon, l’amour ne dure guère. Que sur ta couche il voie les traces d’un autre possesseur de tes charmes, et, sur ta gorge meurtrie, les marques de ses lascives caresses[1] ; qu’il voie surtout les dons que son rival t’envoya. S’il ne t’apporte rien, parle-lui de ce qu’on vend dans la rue Sacrée ; quand tu en auras tiré beaucoup de présents, dis-lui de ne pas se dépouiller de tout, et prie-le de te prêter seulement, bien décidée à ne jamais lui rendre. Que ta langue te serve à cacher ta pensée ; caresse-le pour le perdre : la douceur du miel couvre le poison subtil. Si tu suis mes conseils, fruits d’une longue expérience, si tu ne laisses point s’envoler mes paroles au souffle des vents, tu me diras souvent : "Vis Heureuse." Souvent aussi tu prieras les dieux qu’après ma mort la terre me soit légère."

Elle parlait encore lorsque mon ombre me trahit. J’eus peine à empêcher mes mains de lui arracher ses rares cheveux blancs, ses yeux, qui pleuraient le vin, et ses joues sillonnées de rides. Que les dieux te refusent un asile, t’envoient une vieillesse malheureuse, des hivers sans fin et une soif éternelle !

  1. On lit dans Properce les vers suivants :

    Semper habe morsus circum tua colla recentes,
    Litlbus alternis quos putet esse datos.

    Lib. IV, el, V, v. 59.