Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/146

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fais prendre à son mari le change sur la vérité. A ce prix pleuvront sur toi et les honneurs et d’abondantes largesses ; suis mes conseils, et bientôt tu seras libre.

Tu vois les délateurs le cou chargé de chaînes étroites ; un noir cachot, voilà le partage des âmes perfides. Tantale cherche l’eau au sein même de l’eau ; il aspire après des fruits qui lui échappent sans cesse ; voilà ce que lui a valu son indiscrétion. L’Argus payé par Junon mourut avant l’âge pour avoir trop bien gardé Io, et Io est une déesse. J’ai vu charger de fers qui lui meurtrissaient les jambes un indiscret, qui avait révélé à un mari les amours incestueux de sa femme ; et ce châtiment était trop doux pour son crime. Le poison de sa langue avait fait deux victimes ; un mari condamné à gémir, une femme déshonorée et flétrie.

Crois-moi, il n’est point d’époux qui aime de semblables accusations ; il peut les entendre, mais jamais avec plaisir. S’il reste froid, son indifférence rend ta délation inutile ; s’il aime, il te doit son malheur. D’ailleurs, la faute la plus évidente est toujours difficile à prouver ; la femme a pour elle l’indulgence de son juge. Eût-il tout vu, il croira encore à son désaveu ; il accusera ses propres yeux, et se donnera tort à lui-même ; qu’il voie pleurer sa femme ; il pleurera avec elle, et s’écriera. "Ce maudit bavard me le paiera cher."Vois donc dans quelle lutte inégale tu t’engages ! Vaincu, les étrivières t’attendent, pendant que la belle triomphe sur les genoux de son juge.

Ce n’est point un crime que nous méditons ; nous ne voulons pas nous voir pour composer des breuvages empoisonnés ; dans nos mains n’étincelle point une épée nue ; nous demandons de pouvoir, grâce à toi, aimer sans danger. Est-il rien de plus innocent que notre prière ?


ÉLÉGIE III.

Que je suis malheureux que la garde de ma maîtresse te soit confiée, à toi qui n’es ni homme ni femme, et qui ne peux connaître les plaisirs que partagent deux amants ! Celui qui, le premier, mutila honteusement l’enfance, méritait de souffrir le même supplice. Tu aurais plus de complaisance, tu serais moins sourd à mes prières, si l’amour t’avait jamais conduit aux pieds d’une belle. Tu n’es point fait pour monter à cheval, pour manier des armes pesantes, pour charger ton bras de la lance belliqueuse. C’est le partage de l’homme ; tout acte viril t’est interdit. Ne suis donc jamais d’autre bannière que celle de ta maîtresse ; mets tous tes soins à la servir, sache profiter de ses bonnes grâces. Si elle te manquait, à quoi serais-tu bon ? Son âge et sa beauté invitent au plaisir. Ses charmes ne doivent pas se flétrir