Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/153

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aujourd’hui qu’un assemblage de chaumières couvertes de mousse. Le soldat, fatigué de combats, les quitte pour le champ qu’il vient de recevoir[1]. Délivré de sa prison, le coursier va bondir dans les pâturages ; des ports immenses abritent le vaisseau arraché aux tempêtes ; le gladiateur, en déposant son glaive, reçoit la baguette qui met ses jours en sûreté ; pour moi, aussi soldat émérite des drapeaux de ma maîtresse, le temps du repos était bien arrivé.

Et cependant, si un dieu me disait : "Vis désormais affranchi de l’amour, " je m’en défendrais, tant l’amour d’une jeune fille est un mal plein de douceur ! Après que j’en ai épuisé les plaisirs, et senti les feux s’éteindre dans mon cœur, je ne sais quel vertige s’empare de mon âme égarée. Comme ce cavalier, retenant en vain les rênes fumantes d’écume, se voit entraîné vers l’abîme par son coursier infidèle ; comme l’esquif près de toucher la terre et d’entrer dans le port, est tout à coup rejeté au large par un coup de vent ; ainsi m’entraîne à son gré le souffle incertain de Cupidon, et l’Amour aux joues de rose reprend contre moi ses traits accoutumés. Frappe, enfant, je m’offre à tes coups nu et désarmé. Déploie tes forces, et fais voir ici ton adresse. C’est là que d’elles-mêmes viennent s’enfoncer tes flèches, comme si elles en avaient reçu l’ordre : à peine le carquois leur est-il aussi connu que mon cœur.

Malheur à qui peut reposer pendant une nuit entière, et attacher un grand prix au sommeil ! Insensé ! qu’est le sommeil, sinon l’image de la froide mort ? Les destins te réservent un repos assez long.

Je veux, moi, que tantôt ma maîtresse me trompe par de mensongères paroles ; l’espoir ne saurait m’échapper, et c’est déjà du bonheur. Je veux que sa bouche tantôt me flatte et tantôt me querelle ; qu’elle se livre souvent à moi, que souvent elle me repousse. Si Mars est inconstant, c’est grâce à toi, Cupidon ; oui, c’est à ton exemple que le dieu des combats porte çà et là ses armes. Tu es volage et beaucoup plus léger que tes ailes ; toujours incertain, tu donnes et refuses le plaisir au gré de ton caprice. Si pourtant vous daignez, ta gracieuse mère et toi, exaucer mes prières, règne en maître sur mon cœur qui ne sera jamais désert ; que sous ton empire viennent se ranger toutes les belles, foule, hélas, trop volage ; tu seras, à ce prix, adoré des deux sexes à la fois.


ÉLÉGIE X.

C’est toi, je m’en souviens, oui, c’est toi, Grécinus, qui niais qu’on pût aimer deux belles à la fois. Grâce à toi, j’ai succombé ; grâce à toi, j’ai été pris sans défense. A ma honte, j’aime deux femmes. Belles toutes les deux, toutes les deux chambrières ; il serait difficile

  1. Rome accordait aux vétérans de ses armées, plusieurs arpents de terre ; c’était là leur retraite.