Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/634

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ma fille ! Tour à tour elle fait retentir ces deux noms dans les airs. [4, 485] Perséphone n'entend pas Cérès, la fille n'entend pas la mère; c'est en vain que Proserpine est appelée de l'un ou de l'autre nom. Qu'elle vît un berger, un laboureur, elle n'avait qu'une question et qu'une parole: "Une jeune fille a-t-elle passé de ce côté?" Déjà tous les objets sont confondus sous une même couleur; partout s'étend le voile des ténèbres; [4, 490] les chiens vigilants se taisent. Au-dessus de l'énorme géant Typhon, s'élève l'Etna; sa flamme s'exhale, comme un souffle embrasé, du sein de la terre; là, Cérès allume deux pins pour lui servir de flambeaux. De là vient qu'aujourd'hui encore on voit des torches aux fêtes de Cérès. [4, 495] Au sein de la pierre ponce rabotée, s'est creusée, avec le temps, une profonde caverne, inaccessible aux mortels et aux bêtes sauvages; arrivée en ce lieu, Cérès attelle à son char deux serpents dociles au frein, et, sans se mouiller, elle vole sur la surface des eaux; elle évite et les Syrtes, et Charybde, voisine de Zanclée, [4, 500] et vous, chiens monstrueux de Nisus, écueils féconds en naufrages. Elle ne s'arrête ni sur l'immense Adriatique, ni à Corinthe, qui domine deux mers, et touche enfin aux ports de l'Attique. Là, pour la première fois elle s'assied, le coeur navré, sur une froide pierre que les fils de Cécrops nomment encore aujourd'hui le Triste Rocher; [4, 505] et, pendant plusieurs jours et plusieurs nuits, elle y reste immobile, exposée à la pluie, à toutes les intempéries de l'air.

Chaque coin de la terre a ses révolutions: aux lieux où s'élève aujourd'hui Éleusis, consacrée à Cérès, étaient, dit-on, jadis les champs du vieux Célée. Il portait à sa cabane des glands, des mûres cueillies sur les buissons, [4, 510] et le bois sec qui doit réchauffer son foyer. Sa jeune fille chassait devant elle deux chèvres qui descendaient de la colline. Il avait aussi un fils en bas âge, malade dans son berceau. "Mère, dit la jeune fille (et ce nom fait tressaillir la déesse), où allez-vous sans guide, au milieu de ces coteaux solitaires?" [4, 515] Le vieillard s'arrête, quoique chargé d'un lourd fardeau; il prie Cérès d'entrer sous l'humble toit de sa chaumière. Cérès s'était déguisée en vieille; une bandelette cachait ses cheveux. Elle refuse; il insiste; alors elle prononce ces paroles: "Jouis longtemps de la vie et du nom de père; pour moi, j'ai perdu mon enfant. [4, 520] Combien ton sort est plus heureux que le mien!" Elle dit, et une goutte limpide, pareille aux larmes (car les dieux ne versent point de larmes), tombe sur son sein brûlant. La jeune fille et le vieillard, attendris, répandent aussi des pleurs, et le vertueux vieillard lui répond ainsi: [4, 525] "Puisse n'être pas perdue pour toi la fille qui t'a été ravie! Lève-toi, et ne dédaigne pas d'entrer dans ma pauvre cabane." - "Conduis-moi donc, dit la déesse; tu as trouvé les