Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/651

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main, sur-le-champ, déchire les liens qui retiennent la fleur à sa tige; je touche la déesse, et cet attouchement a fécondé son sein. Déjà, portant un fruit dans ses entrailles, elle parcourt la Thrace et la rive gauche de la Propontide; ses voeux sont accomplis, Mars a vu le jour.

Ce dieu, se souvenant qu'il me doit sa naissance, m'a dit: [5, 260] "Toi aussi tu auras une place dans la cité de Romulus." Peut-être crois-tu que mon empire s'étend seulement sur les fleurs dont on tresse les délicates guirlandes; les campagnes aussi reconnaissent ma divinité. Si les blés ont bien fleuri, les granges seront pleines; si la vigne a bien fleuri, vous aurez du vin; [5, 265] si les oliviers ont bien fleuri, l'année prodiguera mille trésors; enfin, les richesses de l'automne ne font que tenir les promesses de la saison qui m'appartient. Si la fleur a souffert, les vesces et les fèves périssent, ainsi que les lentilles sur tes bords, ô Nil à la source lointaine! Le vin lui-même, renfermé avec tant de soin dans les vastes celliers, le vin se couvre de fleurs; [5, 270] il se trouble et se voile d'un nuage à la surface des tonneaux. Le miel est un de mes présents; c'est moi qui appelle, vers la violette et le cytise, et sur les branches touffues du thym, l'abeille qui donnera le miel. C'est enfin moi qui préside à ces belles années de la jeunesse où la vie est surabondante, où le corps est dans toute sa vigueur."

[5, 275] Ainsi parlait la déesse. Je l'admirais en silence. "Tu peux m'interroger, dit-elle, si des questions se présentent à ton esprit. "Apprenez-moi, ô déesse, l'origine des jeux." Je finissais à peine qu'elle poursuivit ainsi: "Il fut un temps où tous les raffinements d'une vie somptueuse étaient encore inconnus; [5, 280] la richesse consistait en troupeaux ou en vastes domaines; de là même dérivent les mots qui servaient à désigner les riches et à nommer l'argent. Mais déjà on ne se faisait pas scrupule d'acquérir aux dépens d'autrui. Mener ses troupeaux dans les pâturages de l'état était devenu une habitude; longtemps on la toléra, longtemps on la laissa impunie. [5, 285] Le peuple n'avait préposé personne à la garde du domaine public, et c'était simplicité que de paître ses boeufs dans son propre héritage. Cette licence fut enfin dénoncée aux Publicius, édiles du peuple; jusque-là, nul ne l'avait osé. Le peuple fut saisi de la cause; les coupables furent condamnés à l'amende; [5, 290] on paya un juste tribut d'éloges à ceux qui avaient pris soin de la chose publique. L'amende me fut attribuée; et, par une faveur insigne, en mémoire de ce triomphe, on institua de nouveaux jeux. Avec l'autre partie, on adoucit la pente, alors très escarpée, du rocher où passe aujourd'hui un de nos chemins fréquentés, appelé la Pente publicienne." -- [5, 295] "Ces jeux ne sont-ils pas revenus chaque année?" -- "Non," dit la déesse; puis elle ajouta: "Nous aussi nous sommes sensibles aux honneurs; nous aimons les fêtes et les sacrifices, et l'ambition n'est pas sans chatouiller le coeur même des immortels. Avez-vous irrité les