Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/776

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

à de si grands noms, et pourtant je n’ai point porté les armes contre les dieux. Il n’est pas un de mes livres dans lequel j’aie manqué d’honorer César, bien que César ne le demande pas. Si l’auteur te semble suspect, reçois au moins les louanges des dieux : efface mon nom, et ne prends que mes vers. Une branche d’olivier, symbole de la paix, suffit pour nous protéger au milieu du combat ; ne serait-ce donc rien pour mes livres d’invoquer le nom de l’auteur même de la paix ? Énée, portant son vieux père, vit, dit-on, s’ouvrir les flammes devant lui ; mon livre porte le nom du petit-fils d’Énée, et tous les chemins ne lui seraient pas ouverts ? Auguste est le père de la patrie, Anchise n’était que le père d’Énée. Qui oserait chasser du seuil de sa maison l’Egyptien armé du sistre bruyant ? Qui pourrait refuser quelques deniers à celui qui joue du fifre ou du clairon devant la mère des dieux ? Nous savons que Diane n’exige pas de pareils égards pour ses prêtres[1] ; cependant le devin a toujours de quoi vivre. Ce sont les dieux eux-mêmes qui touchent nos cœurs, et il n’y a pas de honte à céder à cette pieuse crédulité. Pour moi, au lieu du fifre et de la flûte de Phrygie, je porte le grand nom du descendant d’Iule. Je prédis l’avenir et j’instruis les mortels ; place donc à celui qui porte les choses saintes ! Je le demande, non pour moi, mais pour un dieu puissant ; et parce que j’ai mérité ou trop ressenti sa colère, ne croyez pas qu’il refuse aujourd’hui mes hommages. Après avoir outragé la déesse Isis, j’ai vu plus d’un sacrilège repentant s’asseoir au pied de ses autels, et un autre, privé de la vue[2] pour la même faute, parcourir les rues et crier que son châtiment était mérité. Les dieux entendent avec joie de pareils aveux ; ils les regardent comme des preuves manifestes de la puissance divine. Souvent ils adoucissent les peines, souvent ils rendent la lumière aux aveugles, lorsqu’ils ont témoigné un sincère repentir. Hélas ! moi aussi, je me repens ; si l’on doit ajouter foi aux paroles d’un malheureux, je me repens, et mon cœur se déchire au souvenir de ma faute. J’en suis puni par l’exil, mais je souffre plus de cette faute que de mon exil. Il est moins pénible de subir sa peine que de l’avoir méritée. En vain les dieux, et, parmi eux, celui qui est visible aux yeux des mortels, voudraient-ils m’absoudre, ils peuvent abréger mon supplice, mais le souvenir de mon crime sera éternel. Oui, la mort, en me frappant, mettra un terme à mon exil, mais la mort elle-même ne pourra faire que je n’aie pas été coupable. Il n’est donc pas étonnant que mon âme, pareille à l’eau produite par la fonte des neiges, s’amollisse et se fonde elle-même de douleur. Comme les flancs d’un vieux navire sont minés sourdement par les vers, comme les rochers sont creusés par l’eau salée de l’Océan, comme la rouille

  1. Il s’agit ici de Diane Aricine, du nom d’Aricie, ville d’Italie, près de laquelle elle avait un temple, et où elle avait été transportée, dit-on, par Oreste, de la Tauride.
  2. On croyait qu’Isis privait de la vue ceux qui, après avoir juré par son nom, violaient leur serment.