Page:Ovide - Métamorphoses, Banier, 1767, tome 1.djvu/460

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258 EXPLICATION DES FABLES  reux , & qui le jetta enfin dans cette triste largeur qui lui causa la mort. Je sçai que la plupart de ceux qui pensent avantageusement d’eux-mêmes ne voudront pas se reconnoître dans la folle ardeur que Narcisse eut pour lui-même ; mais quand la métaphore seroit un peu forte, la leçon n’en seroit pas moins instructive.

On ne sçait rien, au reste, de ce jeune Homme, ainsi que je viens de le dire, que ce qu’en rapporte Paufanias (a)[1], qui dit que Narcisse, ayant perdu sa sœur qu’il aimoit tendrement, qui lui ressembloit beaucoup, & qui alloit toujours à la Chasse avec lui, crut, en se voyant un jour dans une fontaine, que c’étoit l’ombre de cette chère sœur , & qu’il en mourut de regret. Cette fontaine, au reste, étoit, félon le même Auteur, dans le pays des Thespiens, près d’un Village nommé Donacon. Narcisse , selon le Poëte , fut changé en cette fleur, qui depuis ce temps-là a toujours porté son nom ; ce que Pausanias regarde comme une vaine fiction, puisque, selon le témoignage de Pamphus, Proserpine qui fut enlevée long-temps avant que Narcisse vînt au monde, cueilloit le Narcisse parmi les autres fleurs qui se trouvoient dans les campagnes d’Enna, & cette fleur lui fut toujours consacrée. On peut ajouter encore, pour confirmer ce que dit Pausanias , que le Narcisse, selon Sophocle, étoit une fleur destinée pour faire des guirlandes aux Euménides. dont le culte est, sans doute, plus ancien que celui qui fait le sujet de cette Fable. Anciennement ceux qui sacrifiaient à ces Déesses étoient couronnés de Narcifle , parce que cette fleur vient ordinairement autour des sépulchres. Comme le nom de Narcisse vient d’un mot Grec qui veut dire être engourdi, stupide, sans sentiment:, on a imaginé que ce jeune homme, à force de se regarder dans une fontaine, étoit devenu comme immobile, avoit perdu tout sentiment, s’étoit desséché, & étoit mort enfin : de-là cette langueur, cette diminution sensible d’embonpoint , cette foiblesse, & toutes les circonstances de cette Fable, si bien décrite par Ovide. Peut-être même qu’on ne lui a donné qu’après sa mort le nom de Narcisse. On peut lire, au reste, dans Dioscoride (b)[2] la description de la fleur de Narcisse , qui ne ressemble pas mal à ce que nous appelions Œillets Notre-Dame.

  1. {a) In Beor
  2. (b).Liv. IV, chap. 160.