Page:Ozanam - Œuvres complètes, 2e éd, tome 01.djvu/238

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qu’une fable, carmen serium ; poëme sérieux en ce qu’il a du sens dans plusieurs de ses pages, mais poëme sérieux aussi en ce qu’il a cessé d’être inspiré : on l’écoute, on se le laisse répéter, puis on passe à d’autres affaires, à d’autres occupations plus graves. Pour se retrouver dans ce dédale, il ne suffit plus de l’éducation de quelques années, il faut en faire l’étude de toute la vie ; ces fables redeviennent une sorte de mystères auxquels très-peu de personnes sont initiées : seulement ce ne sont plus les patriciens qui ont en dépôt cette science de l’ancien droit, c’est l’école, c’est la famille des jurisconsultes, c’est ce petit nombre d’hommes voués par état à l’étude des lois ; eux seuls en pénètrent les secrets et exercent cette espèce de sacerdoce dont Ulpien nous parle quelque part : « Jus est ars boni et æqui, cujus merito quis nos sacerdotes appellet[1]. » Ammien Marcellin, qui vivait à la fin du quatrième siècle, nous représente ainsi les jurisconsultes de son temps : « Vous croiriez qu’ils font profession de tirer les horoscopes ou d’interpréter les oracles de la sibylle, à voir la gravité sombre de leur visage quand ils vantent si haut une science où ils ne marchent qu’à tâtons. »

Ce premier vice du paganisme n’a donc pas disparu. Il y a toujours les profanes et les initiés, le petit nombre des adeptes et le vulgaire ; la philosophie a succédé en ceci aux religions antiques ; comme elles, elle déteste le vulgaire, et le vulgaire, c’est le grand nombre, c’est le peuple, c’est l’humanité !

  1. Dig. de Justitia et jure, l. I, tit. I, § 1.