Page:Pétrarque - Mon secret, 1898.pdf/109

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tant de mon âme ! Mais c’est elle qui commande.

S. Augustin. Plût à Dieu qu’elle fût soumise elle-même à l’empire de la raison ! Mais je reviens au corps : de quoi te plains-tu ?

Pétrarque. De ce dont on se plaint communément. Je lui reproche d’être mortel, de m’impliquer dans ses souffrances, de me surcharger de son poids, de m’inviter au sommeil quand l’esprit veille et de m’assujettir aux autres nécessités humaines qu’il serait long et désagréable d’énumérer.

S. Augustin. Calme-toi, je te prie, et souviens-toi que tu es un homme : aussitôt ton inquiétude cessera. Si quelque autre chose te tourmente, dis-le.

Pétrarque. Ne savez-vous donc pas la cruauté de la fortune, cette marâtre qui, en un seul jour, balaya d’une main impie moi, toutes mes espérances, toutes mes ressources, ma famille et ma maison[1] ?

S. Augustin. Je vois couler tes larmes : aussi je passe outre. Tu n’as pas besoin maintenant d’être renseigné, mais averti ; ce simple avertissement suffira. Si tu songes, en effet, non seulement aux désastres des familles privées, mais aux ruines des empires depuis le commencement des siècles que tu connais très bien ; et, si tu te rappelles la lecture des tragédies, tu ne seras point scandalisé en voyant ton humble

  1. On sait que la famille de Pétrarque fut bannie de Florence, sa patrie, et que lui-même naquit dans l’exil, à Arezzo.