Page:Pétrarque - Mon secret, 1898.pdf/130

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la mort de celui pour lequel il avait conçu une affection extraordinaire[1].

S. Augustin. Tu te retranches dans la citadelle inexpugnable de l’erreur, d’où il ne sera pas facile de te déloger. Mais puisque je te vois disposé à entendre beaucoup plus patiemment la vérité sur toi que sur elle, chante tant que tu voudras les louanges de ta femmelette, je n’y contredirai point. Qu’elle soit reine, qu’elle soit sainte, qu’elle soit sûrement une déesse ou la sœur d’Apollon, ou une parente des nymphes[2], tout son mérite n’excusera nullement ton erreur.

Pétrarque. Voyons quelle nouvelle querelle vous me cherchez.

S. Augustin. Il est hors de doute que souvent les plus belles choses sont aimées honteusement.

Pétrarque. J’ai déjà répondu à cela précédemment. Si l’on pouvait voir l’image de l’amour qui règne en moi, on reconnaîtrait qu’elle ne diffère pas de ce visage que j’ai loué beaucoup, mais moins encore qu’il ne devait l’être. J’atteste celle devant qui nous parlons[3] que dans mon amour il n’y a

  1. Le second Scipion l’Africain. Voici les paroles de Lélius auxquelles Pétrarque fait allusion : C’est sa vertu que j’aimais, et elle n’est point éteinte ; elle ne vit pas seulement pour moi, qui l’ai toujours eue devant tes yeux, mais elle passera dans tout son éclat à la postérité. Quiconque formera de grands projets, ou nourrira de grandes espérances, se proposera pour modèle son souvenir et son image. (Cicéron, De l’Amitié, XXVII.)
  2. Virgile, Énéide, I, 328-329.
  3. La Vérité.