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qui devrait avoir des pensées et un langage plus élevés.

Pétrarque. Il y a une chose que je ne tairai point (qu’on l’attribue à la reconnaissance ou à la sottise), c’est que je lui dois le peu que je suis, et que je ne serais jamais parvenu au peu de renommée et de gloire que j’ai acquis si elle n’eût fait germer par cet amour la faible semence de vertu que la nature avait déposée dans mon cœur. C’est elle qui a détourné mon âme juvénile de toute turpitude, qui l’a retirée, comme l’on dit, avec un grappin, et l’a forcée à regarder en haut. Pourquoi non ? Il est certain que l’amour transforme le caractère en celui de l’objet aimé. Or, il ne s’est rencontré aucun insulteur, quelque mordant qu’il fût, dont la dent ait touché à sa réputation, et qui ait osé dire avoir vu rien de répréhensible, je ne dis pas dans ses actes, mais dans un de ses gestes et dans une de ses paroles. Aussi ceux qui n’avaient rien ménagé n’ont eu pour elle qu’admiration et respect. Il n’est donc pas étonnant qu’une réputation si célèbre ait fait naître en moi le désir d’une gloire plus éclatante et adouci les pénibles labeurs que je dus m’imposer pour réaliser mes vœux. Quels furent en effet les vœux de ma jeunesse, sinon de plaire uniquement à celle qui m’avait plu uniquement ? Pour atteindre ce but, vous savez que, méprisant les mille attraits des plaisirs, je me suis astreint de bonne heure à des travaux et à des soucis sans nombre ; et vous voulez que j’oublie