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Laure[1] ? Elle fut le tourment perpétuel de sa vie, il lui doit sa gloire. C’est dans l’église de Sainte-Claire d’Avignon, le 6 avril 1327, un vendredi saint, que Pétrarque, âgé de vingt-trois ans, la vit pour la première fois. Elle était dans tout l’éclat de la jeunesse et de la beauté. Des tresses d’or flottant sur les épaules, des yeux noirs au regard limpide et doux, un teint d’une blancheur éclatante, un cou de neige, des dents d’ivoire, une voix suave, tant de charmes réunis le subjuguèrent. Il retraça ses propres impressions en dépeignant dans son poème de l’Afrique la rencontre de Sophonisbe et de Massinissa : « Soudain un feu dévorant avait circulé dans tout son être, comme fond un bloc de glace sous les chaleurs de l’été, ou la cire molle près d’un foyer ardent. Massinissa, en la regardant, est captivé par son ennemie captive, et la vaincue a pu dompter son fier vainqueur. De quoi ne triomphe pas l’amour ? Quel coup de foudre lui est comparable[2] ? À partir de ce moment il ne s’appartint plus. Cette douce vision le poursuivit partout sans paix ni trêve. Il avait reçu de la nature un tempérament ardent. « De quels feux la

  1. M. Thiers lui-même, quand nous lui communiquâmes notre projet de traduire la vaste correspondance de Pétrarque, projet qu’il accueillit avec enthousiasme, nous demanda aussitôt si, dans le nombre, il y avait des lettres adressées à Laure. Pénétré d’admiration pour Pétrarque, il a témoigné le regret de mourir avant que nos travaux le lui eussent fait connaître intimement. Dans la rude tâche que nous nous sommes imposée de ressusciter les œuvres presque mortes de ce noble esprit, la haute approbation de M. Thiers a été pour nous le plus précieux des encouragements et la plus flatteuse des récompenses.
  2. L’Afrique, V, 69-76.