Page:Pétrarque - Mon secret, 1898.pdf/145

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d’un nom si doux, interpellant sans cesse ton âme, n’eût banni tout autre souci, et ne t’eût entraîné par terre et par mer à travers les écueils de tant de difficultés jusqu’à Rome et à Naples, où tu as obtenu enfin ce que tu désirais avec tant d’ardeur. Si tout cela te semble l’indice d’une passion médiocre, je serai convaincu que tu es atteint d’une folie non médiocre.

J’omets à dessein ce que Cicéron n’a pas craint d’emprunter de l’Eunuque de Térence, quand il a dit : Injures, soupçons, brouilleries, trêves, la guerre et puis la paix, voilà les inconvénients inséparables de l’amour. Reconnais-tu dans ses paroles tes insanités et surtout la jalousie qui, on le sait, domine dans l’amour comme l’amour domine parmi les passions ? Tu me répondras peut-être : « Je ne nie point qu’il en soit ainsi, mais la raison sera là pour modérer ces excès. » Térence avait prévu ta réponse quand il a ajouté : Prétendre fixer par la raison des choses aussi variables, c’est vouloir déraisonner raisonnablement[1]. Ce mot, dont tu ne contesteras pas la vérité, coupe court, si je ne nie trompe, à tous tes subterfuges.

Telles sont les misères de l’amour, dont le détail n’est ni nécessaire pour qui les a éprouvées, ni croyable pour qui ne les a pas ressenties. Mais la principale de toutes ces misères (pour en revenir à mon sujet), c’est d’engendrer l’oubli de Dieu et de soi-même. En effet, comment l’âme, courbée

  1. L’Eunuque, 59-63.