Page:Pétrarque - Mon secret, 1898.pdf/163

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est respecté de la foudre), je vous répondrais que César Auguste était atteint de cette faiblesse. Si vous disiez que je suis aveugle (et vous auriez raison), je vous citerais Appius Cæcus et Homère, le prince des poètes ; que je suis borgne, je me servirais du bouclier d’Annibal, général des Carthaginois, ou de Philippe, roi des Macédoniens ; que je suis dur d’oreille, je me retrancherais derrière Marcus Crassus ; que je ne puis supporter la chaleur, je me comparerais à Alexandre de Macédoine. Il serait trop long de tout détailler ; mais, d’après cela, vous jugez du reste.

S. Augustin. Parfaitement. Ce luxe d’exemples ne me déplaît pas, pourvu qu’il ne produise point la négligence, mais qu’il dissipe longtemps la crainte et la tristesse. Je loue tout ce qui empêche de redouter l’approche de la vieillesse et de maudire sa présence ; mais je déteste et j’exècre profondément tout ce qui contribue à faire croire que la vieillesse n’est point l’issue de la vie et qu’il ne faut pas songer à la mort. Supporter avec résignation une canitie prématurée est la marque d’un bon naturel ; mais retarder la vieillesse légitime, dérober des années au temps, accuser de trop de célérité les cheveux blancs, les déguiser ou les arracher, c’est une folie qui, pour être commune, n’en est pas moins grande. Vous ne voyez pas, aveugles que vous êtes, avec quelle vitesse tournent les astres, dont la fuite dévore et consume le