Page:Pétrarque - Mon secret, 1898.pdf/177

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

S. Augustin. Si tu dis vrai, que je te plains ! Si tu ne désires point ce qui est immortel, si tu ne regardes pas ce qui est éternel, tu es tout terrestre, c’en est fait de ton salut : il ne reste plus d’espoir.

Pétrarque. Dieu me préserve de cette folie ! Ma conscience, confidente de mes pensées, m’est témoin que j’ai toujours brûlé d’amour pour l’éternité. J’ai dit, ou si par hasard je me suis trompé, j’ai voulu dire : « J’use des choses mortelles en tant que mortelles, et je n’essaye point, par un désir vaste et immodéré de faire violence à la nature. Par conséquent, j’ambitionne la gloire humaine, tout en sachant qu’elle et moi nous sommes mortels. »

S. Augustin. En cela tu penses sagement ; mais ce qui est tout à fait insensé, c’est que pour un vain souffle qui, comme tu le dis toi-même, est périssable, tu abandonnes ce qui durera éternellement.

Pétrarque. Je ne l’abandonne pas du tout ; je le diffère peut-être.

S. Augustin. Mais que ce délai est dangereux devant la rapidité du temps incertain et le cours si fugitif de la vie ! Réponds, je te prie, à cette question : Si celui qui, seul, fixe le terme de la vie et de la mort t’assignait aujourd’hui une année entière de vie et que tu en eusses la certitude, quel usage ferais-tu du temps de cette année ?

Pétrarque. J’en serais certainement très économe et très ménager, et je prendrais bien garde de ne l’employer qu’à des choses sérieuses. Il n’est personne, ce me semble,