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Il est certain qu’on doit mourir, mais il est incertain si ce sera aujourd’hui même[1] ; et il n’y a personne, si jeune qu’il soit, qui puisse être assuré de vivre jusqu’au soir[2]. Je te le demande donc, et je le demande à tous les mortels qui, convoitant l’avenir, négligent le présent : Qui sait si les dieux ajouteront un lendemain à la totalité de nos jours[3] ?

Pétrarque. Personne, assurément, pour répondre pour moi et pour tous ; mais nous espérons au moins une année, sur laquelle le plus âgé compte, suivant Cicéron.

S. Augustin. Et, comme il le déclare également, non seulement les vieillards, mais les jeunes gens, se bercent d’un fol espoir en se promettant l’incertain pour le certain[4]. Mais supposons (ce qui est tout à fait impossible) que la durée de la vie soit longue et certaine, ne trouves-tu pas que c’est le comble de la démence de gaspiller les meilleures années et les plus belles parties de ton existence à plaire aux yeux d’autrui, ou à charmer l’oreille des hommes et de réserver les pires et les dernières, celles qui ne sont presque bonnes à rien, qui amèneront la fin et le dégoût de la vie ; de les réserver, dis-je, pour Dieu et pour toi, en sorte que le salut de ton âme soit le moindre de tous tes soucis ? Bien que le temps soit assuré, n’est-ce pas bouleverser l’ordre que de reléguer en arrière ce qu’il y a de meilleur ?

  1. De la Vieillesse, XX.
  2. Ibid., XIX.
  3. Horace, Odes, IV, 7, 17.
  4. De la Vieillesse, XIX.